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Société en quête de spiritualité par Philippe ABEL



La société en quête de spiritualité



 A l'aube de l'humanité, lorsque le premier homme arrivé sur terre a contemplé son premier lever de soleil, il a très vite éprouvé le besoin de croire ou d'espérer au-delà de ce qu'il voyait
 Il en sera probablement de même lorsque, au crépuscule de l'humanité, le dernier homme contemplera son dernier coucher de soleil, à l'issue de l'éphémère passage de notre espèce sur cette terre.
 Ce besoin de dépassement de la perception immédiate de nos sens pour se projeter sur la quête d'autre chose de plus fondamental est consubstantiel à l'être humain. Il présente une dimension « trans-générationnelle » et universelle. Sous des formes très diverses, religieuses ou pas, on le retrouve dans toutes les civilisations. Là résident les racines de la spiritualité !
 Le besoin de spiritualité défini comme une valeur fondatrice de l'être humain, se développe sur le plan individuel comme sur le plan collectif. Cela ressort de l'évidence tant il est vrai que nous sommes des êtres sociaux. En permanence, au cours de mon exposé, je serai donc amené à corréler la société et l'individualité. Ainsi, j'aurais pu tout aussi bien intituler cette planche « l'individu en quête de sens » plutôt que « la société en quête de spiritualité »

 Je pense que la crise que nous traversons n'est pas seulement une crise économique ou sociale, comme on le dit de manière réductrice, mais aussi une crise écologique, culturelle et spirituelle. Le progrès technique considérable de ces dernières décennies, en croissance exponentielle, ne s'est pas accompagné d'un progrès comparable de l'esprit humain et des valeurs humanistes. Bien plus encore, la déliquescence de la société matérialiste et la destruction de l'environnement générées par un capitalisme financier devenu fou tant il est lié à la dictature de l'argent, nous conduit « droit dans le mur ». Face à cette fuite en avant qui s'apparente à un suicide collectif, de plus en plus d’individus et de groupes sociaux, partout dans le monde, sont en quête désespérée de sens, donc de spiritualité.

 C'est cette quête existentielle qu'il m'est apparu intéressant de vous retracer . Je tenterai de poursuivre les différentes pistes susceptibles de nous redonner une « carte de l'esprit» (DALAI LAMA) ou de construire une « démocratie spirituelle » (S HESSEL) pour sauver notre « commune humanité » en sauvegardant notre planète.
 A cette fin, il conviendra de suivre les étapes suivantes:
 1- Définir la spiritualité car, dans ce domaine plus que dans tout autre, comme disait le grand Albert CAMUS, « mal nommer les choses, c'est rajouter au malheur du monde »
 2- Établir un diagnostic sur la crise spirituelle de nos sociétés
 Si l'on admet que la société occidentale traverse une crise spirituelle, alors même que la spiritualité est inhérente à l'être humain, nous serons tout naturellement amenés à explorer les voies susceptibles de nous aider à retrouver le sens de notre destin commun. Cela nous conduira à aborder plusieurs questions existentielles:
 3- la question du lien entre religion et spiritualité
 4- Puis la question du lien entre philosophie et spiritualité
 5- Et enfin la question du lien entre la spiritualité et le politique (au sens originel du mot, à savoir la vie de la cité).

 Vous le constatez ! Je me lance là dans un vaste programme. Je le fais avec beaucoup d'humilité et avec mes convictions personnelles, en prétendant rechercher des vérités, et non pas détenir la Vérité. Loin de tout esprit dogmatique, je revendique le droit à l'erreur sur ces terrains aventureux, où je ne cherche ni à plaire, ni à déplaire à qui que ce soit. C'est dire si je compte sur vos propres réflexions pour m'aider à me remettre en cause et progresser. Une démarche spirituelle, c'est d'abord cela !


 1- Définition de la spiritualité:


 La spiritualité renvoie à la qualité intrinsèque de l'esprit, dégagé de toute matérialité. La spiritualité ne réduit pas l'esprit à la matière, au corps, mais lui attribue une valeur supérieure.
 La spiritualité présente ainsi 2 dimensions essentielles:
 Une dimension intuitive universelle qui vise à s'élever au-dessus de la dure réalité matérielle, du relatif, de l'éphémère, pour atteindre une forme d'Absolu. Cet Absolu dépasse même la compréhension intellectuelle des choses
 Une recherche intime sur soi-même et une quête du sens pour soi-même et les autres qui se traduisent par un cheminement intérieur

 L'être humain est un animal spirituel, ou « métaphysique », comme dirait Schopenhauer. C'est un être fini et relatif en quête d'infini et d'absolu. Il ne peut satisfaire ce besoin supérieur de spiritualité, situé au sommet de la pyramide de Maslow, qu'en ayant recours, soit à la transcendance, soit à l'immanence. Cela se traduit donc, soit par l'invocation d'une Puissance Supérieure, soit par l'évocation de l'éternel présent ou de la beauté de la nature et des choses, qui ne sauraient mentir. Mais nous y reviendrons au cours de l'exposé.

 Au cours de l'histoire des hommes, la Spiritualité a pris divers vocables renvoyant tous à cette quête fondamentale du Sens « caché » des choses: Dieu (pour les grandes religions du Livre)- le Divin- l'Absolu- L'Etre Suprême (révolutionnaires de 1789)- L'Ame- la Nature- l'Englobant (Karl Jaspers)- la Vacuité (Bouddhistes)...

 Charles BAUDELAIRE en donne une vision globale mais juste. Il considère que tout homme est partagé entre 2 pulsions contradictoires: le bonheur de l'élévation de l'esprit qu'il appelle spiritualité- ou le plaisir pervers procuré par son propre avilissement qu'il nomme bestialité. Emile ZOLA a parfaitement décrit ce processus destructeur pour les autres et pour soi-même dans la « bête humaine »

 En tout état de cause, on ne peut dissocier la Spiritualité de valeurs humaines collatérales telles que la liberté absolue de conscience, l'humilité inhérente au dépassement de l'égo, et l'amour, la compassion, ou l'empathie. Ces valeurs fondatrices nous permettent de traduire la Spiritualité en actes concrets dans la vie citoyenne. Le pasteur Martin Luther KING résume cet apanage incontournable de la Spiritualité en nous rappelant que, si nous sommes incapables de vivre ensemble comme des frères, nous mourrons, chacun pour soi, comme des idiots.

 Cependant, la crise de civilisation que nous traversons actuellement, comme à d'autres périodes de l'histoire de l'Humanité, est d'abord et avant tout une crise du Sens et du Vivre Ensemble, donc une crise de la Spiritualité. C'est ce que nous allons voir maintenant.




 2- Notre société en état de crise spirituelle


 La Renaissance, le Siècle des Lumières, et la Révolution Industrielle des 19ème et 20ème Siècle ont engendré un progrès économique, social, technique, et scientifique sans précédent dans l'histoire de l'Humanité. Il se traduit par un bouleversement de nos modes de vie qui sont passés du stade agraire et rural au stade technologique et urbain (habitat- automobile...). La dernière révolution en date, celle des NTIC, a aboli le temps et l'espace, en nous projetant dans un village planétaire où tout événement petit ou grand dispose d'une caisse de résonance immédiate et universelle. Ce Progrès objectif s'accompagne d'une augmentation considérable de l'espérance de vie dans le monde qui devrait passer de 68 ans aujourd'hui à 81 ans en 2100. Le corollaire réside dans l'explosion démographique puisque le nombre d'êtres humains est passé de 600 millions vers 1700 à 1,76 milliard en 1900, 7 milliards aujourd'hui , pour une projection à 10 milliards en 2100. Une telle évolution exponentielle pose pour la première fois dans notre histoire la question du déséquilibre entre l'homme et son écosystème et la capacité de notre planète bleue perdue dans l'immensité de l'univers à assurer les conditions de survie de notre espèce « prédatrice »
 Loin de moi l'idée de m'engager dans une approche obscurantiste et de nier les progrès considérables de la période récente, du moins pour une partie d'entre nous. Cela mérite bien-sûr d'être nuancé pour le Tiers Monde et le Quart-Monde, mais aussi compte-tenu du bilan catastrophique des guerres (horrible guerre de 14- 18...) ou encore des pires dictatures de l'histoire au 20ème siècle (nazisme- fascisme- stalinisme- maoïsme...).

 Aujourd'hui, la page de la marche en avant du Progrès se tourne, du moins tel qu'on le concevait jusqu'à présent. La dissémination des conflits dans un monde éclaté depuis la disparition des 2 grands blocs USA- URSS, la résurgence du racisme et de la xénophobie, les ravages de la haine et des intégrismes, et la persistance de « l'exploitation de l'homme par l'homme » attestent du fait que le progrès technologique ne s'est pas accompagné d'un progrès moral ou spirituel concomitant seul à même d'en assurer la viabilité.
 L'Humanité traverse actuellement une grave crise économique sociale, mais aussi écologique, culturelle et spirituelle. La différence par rapport à celles qu'elle a déjà connues dans l'Histoire, tient au fait que, cette fois, sa survie en tant qu'espèce est en jeu. Elle dépend des choix moraux et politiques ( au sens noble du terme) que nous ferons ou non.

 Les causes de la Crise résident pour l'essentiel dans l'émergence d'un capitalisme financier mondialisé, non régulé et obsédé par le profit à court terme. Cette dérive vers la « financiarisation » de l'économie et le « court-termisme matérialiste » emporte 2 conséquences qui risquent de nous être fatales:
 l'accroissement des inégalités entre riches et pauvres au niveau mondial, et jusqu'au sein de nos sociétés protégées autrefois par les filets inspirés de la social-démocratie. Loin d'être un épiphénomène, ces nouvelles inégalités constituent le cœur même du système. Ce dernier ne peut survivre que par une fuite en avant visant à rentabiliser toujours plus et toujours plus vite le capital financier bénéficiant à une minorité au détriment de la valeur travail et de la création de biens durables et services pour tous. La cohabitation au grand-jour entre une richesse médiatisée, indécente, infondée et non distributive (nous sommes bien loin des anciens capitaines d'industrie) et d'une misère grandissante ne peut qu'être explosive.
 l'épuisement et la pollution des ressources naturelles (eau, air, minerais, biodiversité...) générés par la marchandisation du monde. L'idéologie de la croissance productiviste liée à la société de consommation vise à rentabiliser notre environnement. Elle est consubstantielle au capitalisme financier, même si celui-ci n'en a pas le monopole, comme l'ont démontré les dégradations environnementales majeures causées par l'économie dirigée des ex-pays communistes. Pour la 1ère fois dans l'histoire de l'humanité, la question se pose à notre génération de savoir si nous allons continuer à brûler la chandelle par les 2 bouts pour laisser à nos petits enfants un immense dépotoir devenu au sens propre invivable.
 Un bon résumé de la situation actuelle tient dans la formule significative de la « privatisation des profits, et de la socialisation des pertes ».

 L'idéologie dominante génère une concurrence acharnée entre individus. Elle induit une perte de repaires au niveau individuel d'hommes et femmes en repli sur le principe de plaisir immédiat et le culte de l'égo inhérents au matérialisme de la société de consommation. C'est l'avènement de l'ère individualiste du « tous contre tous ». Or, comme le démontre Daniel COHEN, dans « homo economicus », le bonheur ne réside pas dans la course effrénée à l'argent et aux biens matériels qui procure une insatisfaction permanente, inhérente à l'évolution des besoins. L'étalage de son niveau de vie comme élément fondateur de son statut social, en comparaison aux autres, ne saurait combler les aspirations profondes de l'individu. En outre, la crise sociale; économique et écologique fondée sur la peur ou le déni de l'avenir ( cf le « no future » des punks) se traduit naturellement en crise du sens et des valeurs dans l'esprit de chaque citoyen.

 A contrario, la recherche spirituelle permet de redonner du sens à nos existences en s’interrogeant sur les fondements non marchands de l’être humain pris dans ses relations avec les autres, avec la nature, et l’ensemble de son environnement. Elle vise à redéfinir le « vivre avec soi-même, le vivre ensemble, et le vivre dans son environnement ».
 En tant que processus mental d'élévation de l'esprit, la spiritualité constitue une force de résistance à ces fausses idoles des temps modernes incarnées par le pouvoir des apparences et de l’argent, le culte de l’éphémère et du superficiel, et la dictature de l’immédiat.
 L'élan spirituel, c'est la capacité à distinguer l'être du paraître.
 « La carte de l'esprit « telle que la conçoivent le Dalai- Lama mais aussi de grands neuro-scientifiques américains, comme Francisco VARELA, réintègre l'avenir du « vivre ensemble » en travaillant sur la force de paix et de tolérance de l'esprit à l'encontre des émotions destructrices comme la haine, l'avidité, la colère, et la peur.

 Pour parodier la célèbre phrase de Malraux, nous pouvons poser comme théorème que l'avenir sera spirituel ou ne sera pas.
 Il reste à prospecter les voies susceptibles ou non de mieux atteindre cette élévation de l'esprit.
 La première d'entre elles est la religion.



 3- Les liens paradoxaux entre religion et spiritualité


 Pour cerner notre sujet, je serai volontairement réducteur en faisant allusion aux 3 grandes religions monothéistes, à savoir la religion originelle, le judaïsme, et les 2 religions qui en sont issues: le christianisme et l'islam.
 Elles se caractérisent par 2 traits dominants:
 un système organisé du culte fondé sur des rituels
 la foi dans un Dieu créateur et tout-puissant

 La pratique de telles religions peut être compatible avec la spiritualité. En référence à Dieu, elle amène les croyants à une Vérité intérieure qui tend à élever leur esprit en le dégageant du matérialisme ambiant et des modes relationnels fondés sur la force brutale ou la recherche de son seul intérêt personnel. . La croyance au Dieu unique et tout puissant renvoie de fait au second plan le pouvoir de César ou des dictateurs de « tout poil ». La recherche d'absolu présente la vertu essentielle pour tout être humain de dépasser le caractère apparent des choses pour se projeter sur une dimension transcendante.
 L'exercice bien conçu de la religion peut générer chez le croyant des vertus humaines cardinales susceptibles de faire évoluer les relations sociales comme la paix intérieure, la charité (ou bien fraternité, ou zakhat), et l'humilité. C'est en tout cas comme ça que le conçoivent les grands théologiens ou grands religieux engagés des 3 cultes (Jésus Christ- Averroes- Maïmonide- Abbé Pierre- Mère Thérésa- prêtres ouvriers ou théologiens de la libération- grands intellectuels musulmans contemporains...). La foi conduit un certain nombre de fidèles à un engagement éclairé dans la société civile. Pour ceux-là, il n'est point d'incompatibilité entre foi et laïcité. Ils ont d'ailleurs souvent été persécutés en raison de la contestation qu'ils opposaient à l'ordre établi, soit au niveau des pouvoirs en place, soit même du Clergé ou des gardiens du dogme de leur propre religion .
 C'est pourquoi je considère comme obscurantiste toute phobie anti-religieuse, qu'il s'agisse de l'antisémitisme, de « l'islamophobie » ou de la « christianophobie ».

 Mais la religion peut aussi être totalement incompatible avec la spiritualité. Elle peut générer le fanatisme, le dogmatisme, l'intégrisme, le terrorisme, les guerres de religion et de civilisation, toutes choses étrangères à la notion même de spiritualité. L'histoire nous apprend que les gardiens du temple, les responsables des institutions religieuses, ou les illuminés ont fréquemment instrumentalisé leur pouvoir spirituel pour assurer leur domination temporelle sur leurs semblables. Les persécutions connaissent alors d'autant moins de limites qu'elles se prétendent inspirées par une volonté divine. Ceci nous renvoie à la question de la vérité révélée, du dogme, qui, comme tel ne peut être soumis à l'examen critique de la Raison. C'est le fameux adage de l'Inquisition: « tu crois ou tu meurs ».
 Le problème est d'autant plus crucial en cette période de renaissance des intégrismes religieux générés par la perte des repaires culturels ou la crainte de l'Avenir. L'actualité nous démontre quotidiennement que la religion est néfaste, voire criminelle, lorsqu'elle sort de la sphère privée pour régenter l'espace public. Les exemples abondent: 11 septembre- talibans- mouvements islamistes (à distinguer des musulmans ) dans le monde arabe, en Afrique, en France et ailleurs- courants fondamentalistes judaïques anti-laïcs en Israel- intégristes chrétiens interdisant des pièces de théâtres- apôtres de la guerre des civilisations à la George BUSH ou Sarah PALIN...

 Le principe de laïcité qui garantit la liberté des cultes, mais aussi le refus de la domination de la société civile et des institutions par la religion demeure plus que jamais un principe fondamental à défendre et promouvoir. C'est la condition sine qua non pour sauvegarder notre liberté de conscience, et la vraie spiritualité.

 Après avoir examiné les liens paradoxaux entre religion et spiritualité, examinons les liens entre philosophie et spiritualité.


 4- Les liens réels entre philosophie et spiritualité: la spiritualité laïque


Je me reconnais davantage dans les liens entre spiritualité et philosophie.

Le sens étymologique de la philosophie est l'amour de la sagesse. Il faut comprendre par là la connaissance de soi conçue dans notre interdépendance avec les autres êtres humains, mais aussi avec la nature et notre environnement. La sagesse philosophique est une démarche de recherche fondamentale sur l'essence de l'esprit humain, et le sens de l'univers. Elle en déduit une manière d'être et d'agir dans la Vie de tous les jours. C'est pourquoi l'arabe littéraire ne distingue pas le mot« spiritualité » du mot « sagesse »
L'amour de la Sagesse est donc nécessairement Amour de l'autre. Il invite à dépasser son égo personnel, son égoïsme de classe, de caste, de « race », de nation pour s'ouvrir à notre commune humanité.
Ce retour aux valeurs individuelles et collectives est à la mesure de la crise spirituelle que nous traversons. Comme le dit Gandhi, nous devons être le changement que nous souhaitons pour le monde.
Une telle spiritualité laïque procède pour chacun d'entre nous de sa propre vérité intérieure. Elle ne saurait se laisser enfermer dans des dogmes, le fait que l'on croit au Ciel ou que l’on n’y croit pas. Comme l'a fort bien démontré André Comte-Sponville dans un excellent livre, l'Esprit de l'Athéisme, il peut parfaitement exister une spiritualité sans Dieu. Nous sommes bien loin des clichés simplistes confondant athéisme et « anti-religion » ou « anti-spiritualité ».

 La spiritualité laïque répond à l'enjeu majeur de notre temps. Nous devons, dans notre village planétaire, concilier l'universalité des valeurs humaines essentielles, comme le respect des autres et de soi-même, avec la richesse de la diversité culturelle. Cet élan spirituel trouve sa concrétisation dans un texte fondateur engageant les 193 pays que compte le Monde: la DUDH de 1948. Il s'agit de reconnaître des droits attachés à la dignité de tout être humain, indépendamment de nos différences légitimes de race, de sexe, d'opinions philosophiques ou religieuses.

 Contrairement à ce que l'on imagine parfois à tort, cette spiritualité n'a rien de nouveau, et ne consiste pas en un gadget du New Age. Elle trouve ses racines dans une très ancienne Tradition remontant à 6000 ans environ avant Jésus Christ, soit bien avant l'avènement des grandes religions monothéistes. Les concepts de base de la sagesse philosophique et spirituelle (2 synonymes) ont été posés en Orient, dans le confucianisme, et surtout le bouddhisme, puis relayés par la pensée grecque. On retrouve dans les 2 philosophies les mêmes fondamentaux sur l'impermanence, l'inter-dépendance, ou la paix de l'Esprit détachée de l'égo

 En tout état de cause, c'est bien cette philosophie ouverte sur la vie et le changement de son propre comportement pour prendre en compte « le caractère sacré de tout être humain » qui nous rapproche de la Spiritualité. Plus tard dans l'histoire, elle a trouvé son expression dans le mémorable Siècle des Lumières, dont est directement issu le grand homme ayant donné son nom à notre Cercle. Elle n'a rien à voir avec la philosophie de type académique, telle qu'elle est trop souvent enseignée en France, qui se résume en une somme de connaissances abstraites. Comme s'il y avait la moindre cohérence à penser en « philosophe » et à se comporter en « gougnafier » !

 Mais je ne peux clore cette partie sur les relations entre philosophie et spiritualité, dans lesquelles la connaissance de soi est capitale, sans ouvrir une brève parenthèse relative à la psychanalyse. Après avoir mis en corrélation société et névrose, FREUD et surtout JUNG ont reconnu que certaines d'entre elles ne pouvaient trouver de réponses que dans le champ spirituel.

 J'ai établi le lien entre spiritualité et religion, puis entre spiritualité et philosophie. Il nous reste maintenant à tenter de percevoir les manifestations actuelles de la spiritualité dans le champ du politique, à savoir la vie de la Cité. Celle- ci s'exerce souvent en réaction au « rouleau compresseur » du capitalisme financier.



5- Les liens perceptibles entre la Spiritualité et le Politique: la Spiritualité dans la Cité planétaire


 Je rappelle qu'il ne s'agit pas dans mon propos d'évoquer la « politique politicienne ». Mais je me suis intéressé au fait de savoir en quoi la flamme de l'esprit de chaque citoyen, dès lors qu'elle est entretenue, peut illuminer la vie de la Cité. Ainsi, le symbole de la flamme est associé à tous les combats pour la liberté et la dignité de l'homme (sauf quand il est détourné de sa signification par certains mouvements !).
 On rejoint là l'ambition de chaque famille spirituelle, qu'elle soit religieuse ou pas, de parvenir à une société plus fraternelle et plus juste, par l'élévation de l'esprit des membres qui la composent. Il s'agit donc de rechercher les liens entre la spiritualité et le Politique, au sens noble du terme.

 Disons- le d'emblée: ces liens ne sont pas évidents à établir, tant ils s'entremêlent avec d'autres paramètres conditionnant la vie de la cité comme les facteurs sociaux, économiques ou moraux. Néanmoins, le facteur spirituel exerce sa propre influence, ainsi que certaines évolutions de la vie de la cité-monde nous permettent de le percevoir.

 A ce stade de la réflexion, il nous faudra préalablement écarter le risque d' »instrumentalisation » de la spiritualité par le pouvoir politique et les idéologies (à bien distinguer des idéaux). C’est la condition nécessaire pour valoriser les évolutions sociales allant dans le sens de la création d'une « boussole spirituelle »qui nous est indispensable si l'on veut que l'humanité perdue reprenne confiance dans son avenir

 En effet, le lien entre Politique et Spiritualité suppose que l'on soit vigilant vis-à-vis de toute tentative de manipulation de la spiritualité par le pouvoir politique. Les régimes totalitaires ou dictatoriaux du 20 ème siècle nous ont démontré que les pires violations des droits humains résultaient de la déification de l'homme au pouvoir censé montrer la voie et incarner la force de l'Esprit auprès des masses populaires (Mussolini- Hitler- Staline- Mao...). Ces dictateurs se sont appuyés sur un système clos de valeurs dogmatiques, sectaires, et intolérantes offrant à l'individu un substitut sécurisant mais délétère à la liberté de conscience. C'est ce qu'on appelle les idéologies totalitaires. La démocratie est incompatible avec le renoncement à sa liberté de conscience pour confier à un individu, une caste, une idéologie, ou une secte le soin de penser à notre place.
 Ce n'est donc pas au niveau du pouvoir que peut résider le renouveau de la spiritualité dans la Cité, mais bien à l'échelle de la société civile, sur le plan de l'engagement personnel de chaque citoyen (ne).

 Aujourd'hui partout dans le monde, des hommes et des femmes se mobilisent sur des valeurs humanistes de défense de la dignité de l'être humain et refusent l'asservissement des pouvoirs politiques, économiques, et financiers. Nous pouvons citer les défenseurs des droits humains, les indignés, les militants associatifs, les mouvements civiques ou solidaires, les bien-nommés altermondialistes ... Que l'on partage ou pas leurs idées, la force intérieure qui les anime, y compris dans les conditions sociales les plus dures (isolement- précarité- exclusion-menaces- emprisonnement- torture...) influe sur la marche en avant de la société civile des citoyens du monde. Ce sont les résistants des temps modernes !
 Ils ne sont certes pas nombreux, mais, si l'on se réfère au siècle des Lumières, à la Révolution française, ou à la Résistance (comme à l'ensemble des grandes évolutions marquantes de l'histoire humaine), c'est toujours une minorité éclairée ( le terme est signifiant) qui a tracé les voies de l'avenir en entraînant les majorités silencieuses ou versatiles, pour le meilleur ou pour le pire.

 Nous pouvons déceler une autre manifestation du regain de Spiritualité, depuis les années 1970- 1980. Il s'agit de l'émergence de l'écologie politique médiatisée à grande échelle par le Club de Rome, et les sommets de la Terre. Ce mouvement de fond transcende les chapelles politiciennes et les frontières nationales. Il remet en cause le modèle matérialiste dominant de croissance économique incarné par l'archétype de l'homo économicus ( cf Daniel COHEN). Il recherche un nouveau mode de développement durable et respectueux de l'Environnement dont nous dépendons. Ceci suppose de substituer à la compétition acharnée entre les individus, des valeurs de coopération et de responsabilité inhérentes aux êtres humains.

 Il s'agit là d'une multiplicité d'épiphénomènes significatifs d'un changement d'état d'esprit plus profond. Le bouillonnement national et international de la société civile, soutenu par l'outil foisonnant des NTIC, devrait nous redonner des motifs d'espérer et contrecarrer notre « sinistrose » hexagonale et pathologique (comme dirait Jean-Claude GUILLEBAUD !).

 Ainsi que je l'ai évoqué en introduction, souhaitons, avec Stéphane HESSEL et le Dalaï Lama, qu'il préfigure un changement de paradigme fondé à l'avenir sur la « démocratie de l'Esprit »

 A l'échelle de notre « village planétaire », il convient de substituer au concept productiviste dépassé de PNB, celui de BNB intégrant dans la « richesse nationale » les services non marchands ( Education- Santé- Protection de l'Environnement et développement durable) et les facteurs de cohésion sociale et d'équilibre personnel ( réseaux d'entraide et de solidarité- vie culturelle, communautaire et familiale...).

 En tant qu'humanistes, nous devons agir pour favoriser l'avènement d '»homo spiritualis », c'est à dire l'avènement d'un être humain animé par la force de l'esprit dans une société post- matérialiste fondée sur la culture et la connaissance. Il s'agit de donner à chacun « la capabilité » (selon le concept de l'économiste Amyarta SEN) de vivre en fonction de ses aspirations, et en harmonie avec lui-même, les autres, et le monde qui l'entoure.

 Conclusion

 Nous voilà donc aux termes de cet exposé sans prétention poursuivant l'objectif ambitieux de mieux définir le sens de la recherche spirituelle chez l'individu, en interaction avec la société.

 Pour élever le débat et la réflexion sur la spiritualité, en guise de conclusion, je voudrais faire 2 citations parallèles. Je sais qu'il ne faut pas abuser des citations, mais il s'agit là de 2 pensées qui m'ont personnellement marqué à tel point qu'il n'est pas de semaine sans que je ne me les remémore.
 Je les cite donc de mémoire, en m'attachant plus à l'esprit qu'à la lettre.
 La première nous vient de l'ancien Président MITTERRAND dont on connaît le parcours politique, et moins l'approche intellectuelle de la Vie. Je le cite: « il y a 2 choses qui me font pressentir, et non pas croire (c’est différent !), qu'il puisse y avoir un état après la mort. Ce sont l'Amour et le sens de la Beauté. 2 choses qui ne tiennent pas compte de cette pauvre petite évidence que l'on va mourir. »
 La seconde peut nous surprendre encore plus. Elle nous vient du sénateur CAILLAVE, athée notoire, franc-maçon, et fondateur de l'ADMD: « dans quelques millions d'années, le soleil aura cessé d'exploser. Ce sera la nuit sidérale. L'humanité n'aura plus depuis longtemps d'existence sur la planète. Alors, le pouvoir, l'argent, et le « paraître », tout cela est bien vain !».
 Tout est dit ! « Aux grands hommes la pensée reconnaissante »

 En effet, la spiritualité est indissociable d'une réflexion sur la mort, donc sur le sens de la vie

 Que ce soit sur un plan individuel ou collectif, depuis la nuit des Temps, elle nous pose la question fondamentale et insoluble dont tout le reste découle.
 Mes chers amis, cette question, c'est celle de la finalité de l'homme, c'est à dire de la finalité de chacun et chacune d'entre nous.


Philippe ABEL
membre du cercle Condorcet de Bourg en Bresse

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