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LE PROJET DE SUPPRESSION JUGE D’INSTRUCTION



EXPOSE DE M.D.SANTOURIAN SUR LE PROJET DE SUPPRESSION JUGE D’INSTRUCTION

En France, un système d’enquête pénale à deux visages (aujourd’hui en pleine évolution) : une phase secrète et très peu contradictoire (enquête de Police ou de Gendarmerie) - une phase très contradictoire (l’Instruction par le JI)

Profonde évolution en cours de la GAV (avec les arrêts de la CEDH) qui ne pourra qu’être consolidée avec la suppression du JI.

Le JI est une création napoléonienne, qui n’existe pas dans d’autres pays d’Europe (Italie, RFA, notamment : suppression du JI en Italie en 1989 et en RFA en 1975, et dans ces deux pays, c’est le Parquet qui dirige toutes les enquêtes sous le “contrôle” d’un Juge pour les actes coercitifs. Par ailleurs, on sait que, en RFA, les membres du Parquet sont des fonctionnaires, soumis à une hiérarchie dirigée par l’exécutif ; en Grande-Bretagne, pas de JI. Le Parquet ne dirige pas la Police, qui a un pouvoir de classement des procédures ) 

L’atout majeur de l’Instruction par le JI (et c’est d’ailleurs quelque chose de très ancien) est le Contradictoire : accès au dossier par l’avocat, obligation pour celui-ci d’assister aux Interrogatoires de son client, de demander des actes, et de faire appel des refus du JI, etc...

La présence de l’avocat lors des interrogatoires limite beaucoup la dimension de “pression” des interrogatoires (très présente et critiquée, dans l’enquête de Police)

Système de l’article 114 CPP : les avocats sont convoqués au plus tard cinq jours ouvrables avant l’interrogatoire ou l’audition de la partie qu’ils assistent par LRAR + mise à disposition de la procédure aux avocats à tout moment + possibilité de se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces du dossier

Possibilité de demander tout acte utile à la manifestation de la vérité : en cas de refus du JI, possibilité d’appel devant la Chambre de l’Instruction de la CA.

L’autre atout du JI, du côté des victimes, c’est de pouvoir mettre en mouvement l’action publique par le biais de la plainte avec CPC (le plus souvent, d’ailleurs, voie de recours efficace contre des CSS du Parquet) La PCPC est un mode de saisine du JI alternatif, ouverte aux victimes.
Ne pas faire du corporatisme étroit, comme on peut souvent le déplorer (ex. : la réforme de la Carte Judiciaire)


L’Instruction est à la fois, en crise et en déclin, depuis plusieurs années.

L’Affaire OUTREAU rend quasi-impossible la défense d’une Institution déjà critiquée, mais qui avait des atouts importants (le contradictoire notamment) Ce séisme judiciaire va emporter ce magistrat, qui était parfois un gêneur pour l’Etat.

Car ce séisme judiciaire a ouvertement mis à mal une des raisons d’être du JI (rappelée par le CPP lui-même : l’instruction à charge et à décharge, c’est à dire une certaine neutralité dans la recherche de la vérité)

La crise de l’Institution évoque les Griefs formulés contre l’Instruction : absence de neutralité ; double visage du Juge et de l’Enquêteur ; faible plus-value par rapport à l’enquête de Police ou de Gendarmerie initiale ; lenteur de la procédure d’Instruction

La création en 2001, du Juge des Libertés et de la Détention (JLD), voulue pour dissocier les fonctions d’investigation des fonctions de contrainte de l’Instruction, s’est révélée peu efficace (Outreau est aussi un naufrage du JLD en tant qu’institution de contrôle), même si, en tant que telle, cette création est intéressante. [ En Grief ultime, évoquer les insuffisances du JLD]

Déclin : l’Instruction représente moins de 10 % des dossiers pénaux jugés par les Tribunaux, et ceci depuis un certain temps

On a vu qu’un certain nombre d’affaires complexes (affaire Dray, par exemple) étaient gérées par le Parquet indépendamment de l’Instruction

Les procédures rapides (notamment la Comparution Immédiate) sont de plus en plus utilisées ; les Services d’enquête sont de plus en plus orientés vers la délinquance de Voie Publique.

Les politiques pénales des Parquets sont de plus en plus orientées vers le “traitement en temps réel” des affaires pénales, ce qui conduit à délaisser, peu ou prou, les enquêtes “longues” (de type économique et financière)

Exemple du trafic de stupéfiants : vais-je, en tant que policier donner la priorité au petit trafic de rue (intéressant pour les statistiques), ou vais-je me lancer dans la lutte contre des réseaux structurés (ce qui nécessite des écoutes téléphoniques souvent longues, du personnel mobilisé à temps plein, etc...) ? Le risque, avec la disparition du JI, n’est-ce pas d’amplifier cette tendance à la recherche du flag, déjà présent aujourd’hui ?

LES GRIEFS CONTRE LE JI

Sont de plusieurs ordres :

Absence de neutralité

Pouvoir solitaire
Faible plus-value par rapport à l’enquête
Lenteur de la  procédure (“Juger au Carbone 14", disait M. MARIN, PR Paris)

Absence de neutralité :
Le Juge d’Instruction instruit à charge et à décharge (article 81 CPP ; introduit par la Loi du 15 juin 2000, relative à la présomption d’innocence)

Rarement le cas, en raison essentiellement de la double casquette du JI : magistrat et enquêteur. C’est un des griefs les plus importants qui a été formulés contre le JI : comme enquêteur, il est nécessaire de faire des hypothèses sur la culpabilité des personnes contre lesquelles on instruit. La création du JLD est intervenue pour dissocier les fonctions d’enquêteur du JI et les fonctions de contrainte (DP notamment) Les secondes fonctions pouvant être utilisées pour  “aider” les premières.

La création du JLD est intéressante, car celui-ci raisonne moins en termes de logique d’enquête, et davantage en termes de critères de détention. Cela n’a pas marché dans l’affaire Outreau, mais néanmoins, c’est un second regard important en matière de DP.

Toutefois, le JI reste maître de l’enquête, à ce titre, il délivre, notamment, des mandats (ex. De l’affaire De Filippis) Par les articles 803-2 et 803-3 CPP, la personne visée par un de ces mandats peut être retenue pendant 20 heures dans les locaux du Palais de Justice (bientôt 24 h).

Essentiellement également car le JI est saisi dans 80 % des cas par le Parquet, donc après une enquête de Police ou de Gendarmerie classique.

Le schéma de l’IPC classique est très révélateur : les services de  Police ou de Gendarmerie présentent au JI, sur instructions du Parquet, un ou plusieurs individus contre lequel “il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblables qu’ils aient pu participer comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont le JI est saisi “ (article 80-1 du CPP sur la définition du MEX)

Le plus souvent, l’instruction démarre avec un ou des présumés coupables

Il faut quand même dire que l’ouverture d’information ne signifie pas dessaisissement des services de Police et de Gendarmerie : si le Juge d’Instruction procède aux actes les plus importants (confrontations notamment), il travaille également sur Commissions rogatoires délivrées aux services d’enquête.


- Faible plus-value par rapport à l’enquête : grief moins connu, mais important

Exemple caricatural : en matière de trafic de stupéfiants, on dit que plus le JI interroge les mis en cause, plus les quantités reconnues baissent.

Souvent, les versions sur les faits sont gelées à l’issue de l’enquête de Police ou de Gendarmerie, et n’évoluent guère ensuite. En général, les confrontations n’apportent pas grand chose de plus.

Souvent, l’apport essentiel du JI consiste à diligenter des expertises, parfois obligatoires, qui renseignent sur les personnalités des mis en cause et victimes, mais pas sur les faits. 

- Lenteur de la procédure d’Instruction :

Très souvent, ouvrir une information c’est différer très fortement le jugement (On se souvient de procès issus d’Instructions fleuves : faux électeurs de la Mairie de Paris)

Raisons : délais de convocations, écluses procédurales obligatoires (notamment en fin d’information : article 175 + communication au Parquet pour Règlement + ORTC ou OMA), nécessité de notifier les actes (par exemple en matière d’expertise : article 167 du CPP) avec délais pour formuler des observations ; délivrances des copies de pièces (article 114 CPP) ; possibilité de faire appel des refus d’actes, etc...

Seuls les dossiers (minoritaires en nombre) où des personnes sont détenues font l’objet d’un traitement accéléré

- Pouvoir solitaire :

C’est un grief important (On a pu parler du JI comme étant “l’homme le plus puissant de France”) L’affaire Vittorio De Filippis en est une illustration flagrante, comme bien antérieurement, l’affaire Grégory

Dans la réforme récente dite des “Pôles de l’Instruction”, on envisageait de pouvoir avoir une cosaisine (système de l’article 83-1 du CPP) Cette possibilité, dans les affaires graves ou complexes, avaient constitué une justification de cette réforme (décrire avant-après)

Mais ce système de la cosaisine se heurte à la difficulté de faire travailler ensemble plusieurs juges sur un même dossier, par hypothèse complexe ou grave, sur le long terme (ces différents juges d’Instruction étant toujours en charge de cabinets, avec un nombre non négligeable de dossiers en cours) On avait déjà souligné ce problème du contrôle ou du second regard à propos du JLD dans l’affaire Outreau.


L’avant-projet de loi de suppression du Juge d’Instruction :

Transfère au PR et à l’OPJ les pouvoirs actuels du Juge d’Instruction

En matière criminelle, pas de procédure rapide

Le PR est seul compétent, pour diriger l’enquête, en matière criminelle et de délit puni de 10 ans d’emprisonnement (dans ces hypothèses, les interrogatoires de la partie pénale ne peuvent être délégués à un OPJ)

Distinction pour les enquêtes délictuelles, entre les procédures rapides et les enquêtes complexes. Dans celles-ci, on va “singer” l’ancienne procédure d’instruction mais devant le PR ou les OPJ. Pour le ou les suspects, un statut de partie pénale sera conféré par le PR ou l’OPJ au cours d’un Interrogatoire de notification de charges, en présence d’un avocat. Ce statut ouvre des droits qui sont ceux du MEX devant le JI. De même la victime pourra obtenir le statut de Partie Civile de la part du PR, et avoir les mêmes droits que la partie pénale. Ce sont les mêmes règles de délais de convocation pour les auditions, d’accès au dossier par l’avocat ; il y a aussi un avis de fin d’enquête avec délai aux parties pour présenter des demandes, des requêtes en annulation ou des observations sur la décision de renvoi du PR, qui sera communiquée en même temps que l’avis de fin d’enquête, etc...

Il est créé un JEL et un TEL (ce dernier statuant essentiellement sur les prolongations de DP) Le JEL reprend les attributions du JLD pour la DP, statue en matière de CJ et est un recours contre les refus d’actes du PR. Il intervient également en fin d’enquête comme recours sur une décision de renvoi ou de classement.

Pour la GAV, l’avocat aura accès, non pas au dossier, mais aux seuls PV d’auditions de la personne gardée à vue. L’assistance aux interrogatoires ne sera possible qu’après le renouvellement de la GAV (cela exclut 80 % des GAV). On conserve des régimes dérogatoires, notamment en matière d’ILS.

D.SANTOURIAN Magistrat

Index des sigles :

JI : Juge d'Instruction
GAV : Garde à Vue
CEDH : Cour (ou Convention) Européenne des Droits de l'Homme
CPP : Code de Procédure Pénale
CPC : Constitution de Partie Civile (ou officialisation judiciaire de la victime)
PCPC : Plainte avec Constitution de Partie Civile (elle saisit le Juge d'Instruction)
PR : Procureur de la République
DP : Détention Provisoire
CJ : Contrôle Judiciaire
JLD : Juge des Libertés et de la Détention
IPC : Interrogatoire de Première Comparution devant le JI
ORTC : Ordonnance de Renvoi devant le Tribunal Correctionnel
OMA : Ordonnance de Mise en Accusation (équivalent à une Ordonnance de Renvoi devant la Cour d'Assises)
OPJ : Officier de Police Judiciaire (Policier ou Gendarme ayant réussi un examen, qui lui permet de diriger les enquêtes)
MEX : Personne mise en examen (c'est à dire suspectée d'être l'auteur des faits en cours d'Instruction)
JEL : Juge de l'Enquête et des Libertés
TEL : Tribunal de l'Enquête et des Libertés
ILS : Infractions à la législation sur les Stupéfiants

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