I - Introduction à la
Conférence
de Raymond COURT « La Démocratie Moderne »
par René CONSTANS
Professeur de lettres
Cette
introduction vise à accompagner ce qui va constituer le nœud central de la
soirée avec l’intervention dont un de ses confrère universitaire qui l’a lu en
amont de cette conférence dit ceci : «ce texte, admirable de clarté de richesse
encyclopédique sans qu’elle ne soit jamais pesante; enfin, c’est un vrai texte
de philosophie, jamais dogmatique, mais avec une pensée se faisant et sans
cesse ouvrante. Lire un tel texte est un privilège».
Mes références
viennent davantage de la Loi 1901, de la pratique associative, un peu de la
connaissance de l'économie sociale et solidaire.
Rappeler
toutefois quelques traits soulignés dans la précédente conférence sur la « démocratie en Grèce antique »
: le caractère numériquement limité des citoyens qui siègent à l'assemblée : 2000 pour plus de 40000 ; les
privilèges d'une minorité seule capable de se faire entendre parce qu'elle sait
lire et écrire, la durée de gestation de la démocratie d'Attique : deux cents
ans. A mettre plus particulièrement en valeur à mes yeux : l'énoncé très
anticipateur de Solon qui écrit :
"j'ai rédigé des lois égales pour les nobles et les roturiers fixant pour
chacun une justice droite." Comment
ne pas penser en ces jours anniversaires à la Déclaration Universelle des
Droits de l'homme et du citoyen, du 12 décembre 1948, qui est beaucoup plus
compète et modernisée que celle de 1789. Nous n'oublions pas toutefois qu'il convient
de situer les propos de l'homme d'Etat athénien dans leur contexte historique,
celui d'un système qui écarte la grande majorité des habitants de la
citoyenneté.
En second
lieu, les représentations théâtrales qui se déroulaient lors des Dionysies, à
Delphes tout particulièrement, offraient à tous les citoyens qui le voulaient
des trilogies (une trilogie est un ensemble de trois pièces théâtrales).
C'était là reconnaître l'importance des arts dans la formation de chacun et
rappeler par la présence du chœur les devoirs civiques en commentant les
péripéties de l'action dramatique et parfois en l'orientant.
Voici à titre
d'exemple et en acceptant les simplifications nécessaires comment pourrait se
présenter la lente maturation de la démocratie moderne à travers ses institutions.
Proposons
quatre phases dans l'évolution de nos structures :
A/ 1789-1848
pendant cinquante ans un régime d'assemblées, un régime parlementaire, une
monarchie constitutionnelle que marque l'autoritarisme.
B/ 1848-1879
c'est le cours de la Troisième République qui est à la recherche d'un modèle de
synthèse, dans sa phase dernière, la république marquée par le parlementarisme
et le suffrage universel.
C/1879-1958 période qui pose la
question de l’exécutif, dit autrement, comment concilier suffrage universel,
démocratie et stabilité de l'exécutif.
Le régime de
Vichy se signale par un antiparlementarisme vigoureux et un exécutif assuré par "l'homme providentiel",
régime de type césarien.
D/1958 La constitution donne au
pouvoir exécutif une force qui est personnifiée par le Président de la
république. C'est lui qui conduit la politique étrangère, nomme le premier
ministre, à la possibilité de recourir au référendum. Gouvernement et Parlement
semblent être des appendices.
Précisions sur le mot « Libéral en
politique » et « Libéralisme économique » : d'Argenson en 1750 emploi le terme
libéral, mais c'est vers 1800 que le terme se répand, son acte de naissance est dû à la Révolution. Il s'applique aux
partisans des libertés politiques et au dix neuvième siècle, le parti libéral
s'oppose : aux conservateurs, aux monarchiste puis aux socialistes (1848).
Il est capital
de sortir du mélange "libéral" en politique et «libéralisme» en
économie : deux réalités différentes voire opposées. On se reportera au livre
indispensable de René Rémond "Les
droites aujourd'hui" qui note qu'à l'époque, les libéraux
anti-monarchiques étaient la gauche de nos jours.
Sur le plan
économique le terme libéral recouvre
à la fin du 18ème un concept économique en réaction contre les contraintes
étatiques voulues par Colbert. En France Quesnay répand l'idée d'un ordre
économique naturel et l'anglais Smith soutient que l'intérêt personnel est le
moteur principal de l'activité humaine. La concurrence permet de satisfaire les désirs des
populations. Les libéraux confient à l'Etat le soin d'organiser l'armée et la
police, de rendre la justice et de faire respecter la propriété privée. Les
Libéraux désignent une brochette d'écrivains qui vivent pendant la période de
la Restauration. Raymond Court en parlera longuement dans son exposé.
En son concept strictement économique : Le néo-libéralisme (1938) et plus tard au Chili, les jeunes
universitaires américains expérimentent : la concurrence frénétique, le refus
de tout intervention et régulation étatiques, la consécration de la loi du plus
fort.cf le thatchérisme et certains présidents américains. (Les Busch)
LA DEMOCRATIE MODERNE
Par Raymond COURT, Professeur Honoraire de
Philosophie à la Faculté
de l’Université Jean Moulin (Lyon 3)
pour la Conférence du Cercle Condorcet de
Bourg-en-Bresse Décembre 2012
L’accouchement
de la démocratie moderne,
celle même qui est la nôtre sous l’appellation de République[1], a
été long et difficile à travers la Révolution française puis ses suites après Thermidor. Avant d’aborder les
contributions remarquables des penseurs politiques de cette époque, tels
notamment Chateaubriand, Benjamin Constant et Tocqueville qui, après la Révolution française,
ont alors participé directement à la gestation mouvementée de ce nouvel ordre
politique et appartiennent à l’âge d’or de sa pensée, il importe d’abord de revenir sur les réflexions
originaires de Rousseau (puis de Kant) tout à fait décisive sur ces questions[2]. J’insisterai
en particulier sur ce qui apparaît à ce propos chez le penseur français comme
une redoutable bifurcation de pensée qui a marqué en profondeur et tragiquement
les deux siècles suivants et qu’on peut désigner comme l’opposition entre
despotisme et démocratie qui nous retiendra au terme de notre exposé en
évoquant le thème majeur du totalitarisme
comme pathologie mortelle pour l’idéal démocratique.
I . L’ambivalence de Rousseau.
Force
d’un côté est de reconnaître que Rousseau
par ses écrits ( et notamment Le
contrat social de 1762) a été sur le plan historique en rapport explicite
incontestable avec l’acte de naissance en France de la liberté politique en 89
et sur ce point décisif a directement inspiré Kant proclamant son enthousiasme
pour cette aurore politique[3]. En
revanche il est tout aussi évident de constater a contrario chez Rousseau un
glissement fort inquiétant en direction d’une interprétation pré-jacobine
qui a conduit, à rebours de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de
89 jusqu’à la Grande Terreur de 93 (ce qui, on le sait, sera exploité abondamment
par les ennemis de la Révolution française).Kant au contraire demeurera
fermement dans la ligne libérale défendue par Locke à partir de l’idée de contrat dans son Essai sur le gouvernement civil (1690). Le philosophe allemand a
ainsi l’extrême mérite dans sa relecture politique de nous permettre, à
l’instar précisément d’un Chateaubriand,
d’un Tocqueville et d’un Benjamin Constant, en conjurant vigoureusement le pré
- jacobinisme rousseauiste, de sauver la Révolution française dans son moment
fondateur de 1789, et finalement de contribuer à définir en profondeur la
grande tradition libérale des penseurs de
la démocratie moderne[4].
Il importe d’autant plus
d’insister au départ sur cette opposition philosophico-politique initiale entre
Rousseau et Kant se révélera particulièrement lourde de conséquences
historiques dans la mesure où il est possible d’y déchiffrer la double
orientation qui a scellé pour au moins deux siècles le destin de l’Europe et
au-delà.( si du moins on reconnaît que les idées mènent le monde).
D’une
part Kant reprend pour l’essentiel
l’analyse du contrat social dont le
propre selon lui en principe est d’opérer la synthèse de l’autorité politique
et de la liberté. Seule en effet est légitime
une autorité consentie et, comme telle, respectueuse de la personne dans son autonomie,
à savoir en tant que sujet libre et moral donc responsable[5]. Et
tel est, réaffirme Kant, le critère de toute légitimité juridico-politique,
c’est-à-dire ce que la raison au nom du droit naturel exige pour qu’une
constitution politique soit avouable devant elle : « le contrat
originel (ou pactum sociale), en
constituant une volonté commune, et publique, permet seul de fonder parmi les hommes une constitution
civile, donc totalement conforme au droit, et d’établir une communauté »
de sujets égaux en droit (Pléiade
III, 279 : Sur le lieu commun..).
Jusque là Kant suit donc Rousseau et met à son crédit la Déclaration des droits de l’homme : d’où son enthousiasme pour
la Révolution de 89 qu’il célèbre, nous
l’avons noté, comme l’acte de naissance en France de la liberté politique et ce que nous considérons comme la démocratie au sens moderne du mot.
Mais
d’autre part, en dépit de ces prémisses authentiquement démocratiques de
l’analyse rousseauiste, force est de constater que cette dernière opère au
cours de son développement une dérive fort inquiétante en direction d’une interprétation
qu’on peut qualifier de pré-jacobine de la volonté
générale et de ce qu’il ne faut pas hésiter à nommer le despotisme
spirituel de la religion civile. Ce
qui est sûr, c’est qu’à partir de là, Kant va diverger totalement de Rousseau
.en posant deux principes fondamentaux qui constituent les deux piliers-maîtres
d’une authentique philosophie des droits de l’homme : la distinction entre
société et Etat, puis la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Ce faisant, il
s’oriente dans une direction qui en esprit
correspond à celle des anglo-saxons ( dans la lignée de Locke et son: Essai sur le gouvernement civil 1690)
suivie par la nouvelle démocratie américaine ( sans oublier la bataille
héroïque en France du libéralisme politique contre le despotisme de la Terreur
et de l’Empire).
Reste
à s’interroger sur les raisons susceptibles d’expliquer ce qui nous apparaît
marquer dans la pensée rousseauiste un tel glissement de la démocratie la plus
pure vers le pire despotisme qui est en fait la dérive jacobine. C’est bien en
tout cas la question que se sont posée a posteriori ceux qui ont vécu comme
témoins successivement l’enthousiasme de 89, puis l’horreur face au bain de sang de la
Terreur. et qui dès lors ne manquèrent pas d’être frappés par la correspondance
stupéfiante entre la lettre de l’Histoire et un certain esprit du célèbre Contrat social. Avant de revenir sur les
premiers penseurs qui ont réfléchi sur cette terrible énigme présente à la fois
au cœur de la pensée de Rousseau et de l’histoire ( à la lumière rétrospective de
ce que nous avons vécu au 20ème siècle) , il faut, je crois, marquer le point
crucial de vulnérabilité à l’origine de cette dérive catastrophique au cœur du
système rousseauiste.
Celui-ci
se situe, semble-t-il, au niveau même de la notion centrale de volonté générale. Volonté de tous,
s’appliquant à tous, dans l’intérêt de tous, la volonté générale rousseauiste a
des aspects positifs certains, notamment le refus des privilèges et la
visée d’un bien commun irréductible à la fois aux intérêts particuliers de
groupes de pression comme à un intérêt collectif transcendant auquel on
pourrait sacrifier une personne singulière. Mais ce qui pervertit tout cet
ensemble, c’est la règle de l’unanimité. Ainsi
Rousseau ne distingue pas refus des groupes de pression et refus de la
délibération comme expression des opinions dans leur diversité (à savoir le
détour démocratique par l’opinion et le débat. Par ce refus de tout pluralisme et de tout droit reconnu à
une opposition on glisse fatalement sur
la pente d’une logique révolutionnaire totalitaire, celle même du Club des
Jacobins qui fonctionnera comme « une véritable machine d’unanimité »
(Winock) par noyautage des Assemblées et à ce titre un véritable ancêtre du
« centralisme démocratique »[6].
Plus
grave encore, toujours au nom d’une volonté générale vraiment dominante,
Rousseau estime que le pouvoir souverain, outre la quête de l’unanimité dans
les suffrages, doit s’étendre au-delà des actions extérieures jusque dans
l’intimité des consciences : « L’autorité la plus absolue est
celle qui pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme, et ne s’exerce pas moins sur
la volonté que sur les actions » (Article Economie politique)[7].
Cette évocation d’un pouvoir qui réussit à nouer le plus extérieur et le plus
intérieur trouvera son accomplissement dans le chapitre final sur la religion civile. qui couronne le Contrat social et où Rousseau, contre le
principe de la dualité de Dieu et de César, approuve Hobbes d’avoir « osé
proposer de réunir les deux côtés de l’aigle et de tout ramener à l’unité politique ». Mais en réalité il va beaucoup plus loin que ce
dernier car il s’agit selon lui de pénétrer jusqu’au cœur des convictions du
sujet. Ce dont témoigne cette affirmation dépourvue d’ambiguïté selon laquelle
l’Etat a « inspection » sur « la croyance des
citoyens » parce que « la croyance des hommes détermine leur
moral » et qu’un athée ne saurait être homme de bien (Lettre à M. de Beaumont) (Œuvres, III, 91).
Comment ne pas penser à Robespierre et à la Grande Terreur ?
Les analyses de
Chateaubriand, Tocqueville et Constant convergent pour l’essentiel de manière
remarquable pour dénoncer ce que nous venons de nommer la dérive rousseauiste.
Elles permettent d’en saisir le
processus d’engendrement et d’en mesurer les redoutables conséquences sur le
plan politique. Nous résumerons le thème général de cette réflexion critique
commune à ces trois penseurs qui sur ce point se sont fait des emprunts
réciproques[8].
II. Le grand libéralisme français : de Madame de Staël à Tocqueville.
Ici il convient
d’évoquer la personnalité centrale de
Mme de Staël. Fille de Necker (remarquable ministre de Louis XVI) et amie de
Chateaubriand qu’elle fit connaître à Mme Récamier, amie elle-même de Benjamin
Constant., elle osa aller au-delà de la monarchie tempérée défendue par son
père pour « fonder la République. ». et « terminer la
Révolution ». Insultée et poursuivie par Napoléon Bonaparte[9] elle
défendra le gouvernement représentatif des Anglais et fuira par Saint
Pétersbourg en Angleterre où paraîtra, posthume, son dernier livre intitulé
« Les considérations sur les
principaux évènements de la Révolution », louant comme bientôt le fera
Edgar Quinet l’union indivisible de la liberté de conscience et de la liberté
politique au principe même de la démocratie.
De
son côté , dans une conférence célèbre qui date de 1813, B.Constant analysera,
à l’origine de l’usurpation jacobine de la volonté générale chez Rousseau, la
référence de ce dernier à la liberté-participation collective des Anciens et
l’oubli de la liberté individuelle des modernes. Ainsi, alors que la finalité
ultime du contrat social visait initialement à concilier l’autonomie
individuelle et l’autorité de l’Etat, finalement, en raison de la fusion des
volontés particulières dans l’acte de volonté générale, s’opère ce retournement
despotique, si étonnant pour beaucoup, des principes individualistes par
intégration à la communauté indivise unanimement constituée. D’où cette
définition rousseauiste mémorable du contrat comme l’ « aliénation
totale » de chaque associé avec tous ses droits à la communauté » qui
est en effet la formule même du jacobinisme?[10]
Cette argumentation relative à la liberté des Anciens opposée à celle des
modernes, développée explicitement par B.Constant, se retrouve chez
Chateaubriand qui en a pris connaissance sans doute dans le cercle de Mme de
Staël et l’a intégré à sa propre réflexion sur la liberté politique[11]. L’auteur du Génie du christianisme, à la suite de la
lecture du premier volume de la Démocratie
en Amérique de Tocqueville rédigera ainsi un chapitre des Mémoires d’outre tombe dans lequel il
procède à une relecture du Génie pour
y insister sur l’enracinement religieux de la liberté. En effet si, comme il
l’affirme dans les Etudes historiques de
1831, « le christianisme est la plus grande révolution advenue chez les
hommes » en raison de l’esprit d’affranchissement universel qui lui est
inhérent ( cité par Fumaroli p.722), la liberté des modernes est irréductible à
celle des Anciens par sa référence à la fois aux droits de l’homme et à un
système politique représentatif mais également à une autonomie
éthico-religieuse dans la vie privée[12].
Tocqueville sera profondément
impressionné par ces pages de Chateaubriand. Et dans L’Ancien Régime et la Révolution il n’hésitera pas à dénoncer l’erreur des Français de
s’être soumis au « génie anti-chrétien des philosophes du 18ème
siècle » en se laissant persuader que « les sociétés démocratiques
sont naturellement hostiles à la religion ». Sur ce point nos deux philosophes
rejettent de concert les Lumières anti-chrétiennes[13].
Nous avons exposé la critique exercée par les penseurs du
libéralisme politique post-thermidorien à l’encontre de la dérive rousseauiste
vers un pré-jacobinisme despotique. Et ceux-ci - notamment Tocqueville – ont en même temps
diagnostiqué explicitement dans cette dernière avec une grande perspicacité
l’annonce de l’apparition de ce que nous désignons aujourd’hui sous le terme de
totalitarisme et que Claude Lefort va
dénoncer de manière systématique comme
la pathologie mortelle de la
démocratie moderne.
Déjà Chateaubriand, à l’inverse de Condorcet, critiquait
l’optimisme fidéiste des Lumières (cf ses deux
premiers Discours). Néanmoins
l’auteur des Mémoires d’outre-tombe,
tout en demeurant fidèle sur ce point au pessimisme rousseauiste à l’égard de
la modernité[14], s’affirmait fervent
défenseur du monde nouveau initié en 89, dans le ferme espoir qu’il ne sera
plus celui de l’absolutisme monarchique mais plutôt celui, selon Péguy,
de « la République notre Royaume de France » De plus, convaincu
encore comme Rousseau que le mal n’est pas un fait de nature et que Dieu n’en
est point responsable mais qu’il tient à l’homme, en revanche, à la différence
de l’auteur du Contrat social,
Chateaubriand, ayant vécu 93 puis l’Empire, a pensé avec force la Terreur et dénoncé « les deux monstres
français », Robespierre et Bonaparte. Surtout en invoquant la percutante
méditation politique pascalienne, il dégagera en toute lucidité au principe de
la logique totalitaire l’invocation à un illusoire ordre parfait idéal, tel
l’utopie révolutionnaire catastrophique, substitué en lieu et place d’un ordre
imparfait patiemment et courageusement réformateur[15]
La réflexion critique de Benjamin Constant va dans le même sens quand elle dénonce, on
s’en souvient, au principe de la dérive jacobine l’illusion rétrospective qui,
renvoyant à la liberté- participation des
Anciens, annonce ce que Claude
Lefort nomme le « fantasme du
peuple-Un » qui selon lui constitue le noyau central du
totalitarisme. Quant aux analyses de Tocqueville elles conduisent de leur côté
directement à l’opposition centrale entre démocratie et totalitarisme qui sera
au centre de celles de Cl. Lefort, « le philosophe de la
démocratie » selon Philippe Raynaud.
Tocqueville décèle en effet dans la démocratie (qui n’est
pas seulement une forme de gouvernement mais un changement de société marqué
par l’égalité des conditions), le danger de renversement dans un nouveau
despotisme qui sera le totalitarisme.
Ainsi, à la fin de La Démocratie en
Amérique l’auteur montre que le passage à l’égalité des conditions a pour
conséquence la pleine affirmation des individus et avec elle le règne de l’opinion dans sa multiplicité
impersonnelle et sa domination sans visage. D’où ce risque redoutable qui
donnera naissance dans nos sociétés contemporaines au pouvoir tyrannique des medias et portera atteinte gravement à
« la liberté des modernes »
que célèbre Constant sans avoir
peut-être mesuré l’extrême vulnérabilité de celle-ci .
III. La démocratie moderne au défi du totalitarisme ( son contraire)
selon Claude Lefort.
Au
terme de toutes ces analyses il revenait à Claude Lefort de systématiser les
intuitions perspicaces de ces penseurs majeurs en dégageant la convergence
remarquable de celles-ci autour de la critique du totalitarisme, « le phénomène le plus important de notre temps », déclarait-il en
1978[16].
C’est ainsi qu’il a eu justement le mérite éminent pour nous de penser la
démocratie moderne en rapport aux catastrophes vécues par celle-ci non
seulement à sa naissance mais dans notre modernité la plus immédiate exposée à
l’apparition du phénomène totalitaire avec d’abord le nazisme et le stalinisme
en attendant le maoïsme. Il ne cessera pas dès lors jusqu’à sa mort ( le 3
Octobre 2.010) de dénoncer et de dépister cette pathologie mortelle pour la démocratie. Ainsi de l’illusion gauchiste
du trotskisme orthodoxe accusant le parti communiste de devenir réformiste et
d’oublier son devoir révolutionnaire ou inversement de l’aveuglement de Sartre
à reconnaître le caractère totalitaire de l’Union soviétique et l’héroïsme des
dissidents comme Soljenitsyne ou comme Kravtchenko révélant la réalité des
camps soviétiques..Cl. Lefort décèle au principe de cette conduite totalitaire
toujours la même référence illusoire à une unité parfaite et définitive (de
nature proprement idéologique selon
H.Arendt et qui constitue l’essence même du totalitarisme). Ainsi, au cœur de la Terreur révolutionnaire,
cette quête fantasmatique à l’image de la première figure moderne du pouvoir (celui
absolutiste de la souveraineté royale déchue) et le refus sanglant de
reconnaître un monde pluriel[17].Ce
dernier point d’analyse conduit au point le plus central de la conception de la
démocratie selon Lefort.
A
rebours de l’illusion d’une unité parfaite et définitive (figure de l’Egocrate)
(cf. là encore la justesse pascalienne !) la démocratie crée (et accepte)
un monde pluriel et fait du pouvoir un « lieu vide » qu’aucune forme
ne peut définitivement s’approprier ». Lefort définit alors la démocratie
par la « désincorporation du pouvoir » et par la
« désintrication du savoir, de la loi et du pouvoir ». Il refuse donc
de la définir « comme le pouvoir souverain du peuple et la place là
où le pouvoir n’appartient à personne », ce qui selon Alain Touraine
marque la « redécouverte du politique ». C’est ce que la
réhabilitation des droits de l’homme par
Lefort permet sans doute de mieux comprendre. En effet, loin de réduire comme
Marx ces droits au travestissement bourgeois d’intérêts individuels égoïstes et
atomisés, Lefort les réhabilite dans et sur leur dimension formelle
donc par principe ouverte et politique. D’où
cette ouverture au débat sur ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas,
bref sur ce qui marque la redécouverte du politique, à savoir l’exercice du
pouvoir à l’état naissant et citoyen. ( voir par exemple les débats
contemporains en bioéthique ou sur la sexualité).
Note 1 sur Sieyès
Le destin de Sieyès est exceptionnel (1748-1836) :
il a ouvert la Révolution
en 1789 et l’a refermée en 1799. On connaît le jugement sévère de Quinet sur
lui : « Sieyès avait voulu être le théoricien de la liberté et il est
devenu le théoricien de la servitude ». Il a voulu et accompli en 1789 le
démantèlement de la puissance monarchique et la destruction des ordres
privilégiés, puis il a vécu sous la
Terreur, gouverné sous le Directoire, traversé les troubles
révolutionnaires et passé ainsi de la
Nuit du 4 Août à celle du 18 Brumaire. Mais au cours de ces
évènements bien remarquables sa réflexion proprement politique s’enrichit en
profondeur, toujours en prise sur cette actualité brûlante du plus haut intérêt
qu’il a vécue en toute lucidité et il atteint assurément au niveau des plus
hauts penseurs de cette époque. En particulier il possède à fond le texte
difficile du Contrat social au point
d’en faire le contenu spirituel même de la Révolution. Ainsi
son Discours important du 20 juillet 1795 ( 2 Thermidor An III) a très vivement
impressionné ses auditeurs et pointe de manière très précise ce qui est au cœur
de sa pensée politique fondamentale, à savoir la limitation de la souveraineté
populaire pour éviter le despotisme d’une souveraineté absolue à laquelle
conduisait selon lui le pacte rousseauiste d’aliénation totale. En quoi il
annonce explicitement la pensée libérale de Benjamin Constant et ce qui est au
centre de notre propos, à savoir le problème d’inventer la démocratie
grâce à un système représentatif qui conjure à la fois l’absolutisme populaire
de 1793 et l’impuissance en 1795 des pouvoirs divisés.
Conclusion
Le
texte suivant de Kant extrait de la Doctrine de
la vertu (Seconde partie de la Métaphysique des
mœurs) (Pléiade O.C. III p.333), cité par Pierre Manent in Cours familier de philosophie politique, permet
de cerner de la manière la plus claire et la plus synthétique l’essence idéale
de la démocratie politique. Au fondement de celle-ci il y a l’idée de dignité humaine. Sénèque le stoïcien va
à l’essentiel en distinguant prix et dignité. L’animal agit par simple
spontanéité naturelle, l’homme par représentation d’une loi acceptée ou
refusée. Rousseau et Kant parlent ici d’autonomie
Mais si. cette dernière est nécessaire pour définir la dignité humaine ,
elle n’est pas suffisante pour aller au fond de cette idée, laquelle implique
une dimension éthique, d’où la référence essentielle au sentiment de respect.. L’homme sans doute, comme le
pensent le christianisme et le stoïcisme a été remis à son propre pouvoir par
Dieu, et c’est la marque de sa liberté, il n’est pas l’auteur de cette loi, sa
liberté par rapport à elle est de consentement, non de création. En clair ceci
signifie que choisir n’importe quel style de vie peut être contraire à notre
dignité personnelle. La dignité personnelle dépend de notre choix qu’en rapport
de celui-ci à une loi qui nous est donnée et non pas créée par nous. D’où,
comme le remarque P.Manent, le contre
sens fréquent aujourd’hui fait à propos de Kant : « Respecter la dignité de l’autre être humain, ce n’est
plus respecter le respect qu’il conserve en lui-même pour la loi morale, c’est
aujourd’hui, de plus en plus, respecter le choix qu’il a fait, quelque soit ce
choix, en réalisation de ses droits » ( o.c. p.321) (Cf. La réflexion
critique de Gisèle Halimi contre Mme Badinter a propos de la prostitution
féminine soi-disant légitime si elle est choisie librement).
IV. Démocratie politique et démocratie sociale.
Dans
notre recherche précédente nous avons décrit l’accouchement tumultueux de la
démocratie politique et suivi cette
dernière jusqu’à son aboutissement à la Terreur jacobine avec Robespierre. Mais
cette évolution comporte une infrastructure sociale
dont elle est inséparable. C’est cette dernière, avec son propre risque de
dérive totalitaire par rapport à la démocratie, que, pour terminer, nous
évoquerons rapidement dans ses grandes lignes[18].
Un premier moment de cette analyse relève la rencontre
entre l’idéologie socialiste que Marx
traite d’ «utopiste» et l’essor du mouvement ouvrier. A cet égard la révolte
des Canuts à Lyon en 1831 représente un évènement considérable. Marx, on le
sait, fut très attentif à l’émergence de ces mouvements ouvriers, notamment aux
journées décisives de juin 48 puis au
drame de la Commune
en 71. Le fameux Manifeste (signé
avec Engels), paru en 48, portait
justement sur l’articulation du dogme socialiste et du
« prolétariat » naissant avec la société industrielle et il eut le
retentissement énorme qu’on sait. Il s’agit en effet d’une révolution
culturelle politico-sociale dont on mesure la profondeur si on porte attention
à l’ampleur de la mutation qui s’accomplit alors, à savoir le passage de la
révolution libérale et individualiste des droit de l’homme et du citoyen de 89
et sa dominante politique, à une
révolution devenue proprement sociale
et collective. D’où le champ ouvert à ce qu’on va nommer significativement
alors « la question sociale ».
En 1831, sous la plume de Lamennais., le mouvement « social » commence à
distinguer les rapports entre les classes à l’intérieur de la société et « la République sociale »
associe désormais l’idéal démocratique
à la « révolte de classe » (o.c. p.643). Illustre la profondeur du
fossé ainsi franchi le débat en 1848 à la Constituante sur le
vote du droit au travail combattu
encore par le grand Tocqueville lui-même !
D’où un second
moment dès lors à analyser qui recoupe
d’ailleurs le précédent plus qu’il ne lui succède et qu’on peut placer sans
doute plutôt sous le patronage de Proudhon que sous celui de Marx. Significatif
également à cet égard est le titre même de l’ouvrage publié par Proudhon en
1864 : « De la capacité
politique des classes ouvrières ».En référence aux analyses de
Saint-Simon ( et Comte) l’accent est mis dès lors de manière explicite sur le
phénomène nouveau « société industrielle qui avec sa structure
« organisationnelle » transforme le travailleur en « prolétaire » sans pouvoir
économique ni autorité politique et est
contemporain de l’introduction dans les années 1830-1845 d’un prolétariat
urbain avec la misère noire de la classe ouvrière. Si l’on ajoute dans ce contexte la répression militaire (Cf.
Bugeaud) des émeutes exercée durant la Monarchie de juillet, on comprend mieux le sens
du combat du militantisme socialiste prolétarien dans l’optique proudhonienne
centrée sur la prise de conscience de la lutte fondamentale entre le monde du
travail et le monde du capital en vue d’établir une alternative à la société
actuelle. Il s’agit ainsi de substituer à la référence traditionnelle à un
modèle supérieur et antérieur une « organisation » ( le mot est de
Saint-Simon) nouvelle où l’historien Lucien Febvre détecte « la capacité
politique des classes ouvrières ». D’où l’emploi d’un nouveau langage pour
désigner ce nouveau socialisme qui répond à la formule saint-simonienne célèbre
: « substituer au gouvernement des hommes l’administration des
choses » et qu’illustre la reprise de la parabole célèbre dénonçant les
frelons, ces parasites opposés aux abeilles ouvrières Tel est le principe d’un
socialisme libéral contre la politique qui transforme les rapports sociaux en
rapports d’autorité. Cet anti-autoritarisme typiquement proudhonien sera au
principe du Grand schisme entre socialisme et communisme qui sera réactivé à
partir de 1917 au XXème siècle avec l’avènement du Stalinisme et qui opposera
en France notamment la rivalité entre la lutte syndicale libre et la « geôle
collectiviste » du Parti unique et idéologisé[19]. Où
nous retrouvons notre débat central sur
le totalitarisme au défi de la démocratie véritable.
Note 2 : Chateaubriand et
Pascal.
Chateaubriand se
réfère à la réflexion politique pascalienne sur laquelle il prend appui pour
discuter Rousseau. Comme le fera après lui Tocqueville, l’auteur des Mémoires d’outre- tombe, a vu dans
Rousseau le génie prophétique de la modernité politique ( à la fois l’interprète et le critique le plus radical des Lumières). Il déclare vivre tous les jours avec trois
hommes : Pascal, Montesquieu et Rousseau, et être en dialogue entre Le
discours sur l’inégalité du second et les Pensées du premier. Il
s’agit au départ de méditer l’affirmation initiale célèbre du Contrat
social : « l’homme est né libre, et partout il est dans les
fers » à la lumière de la doctrine pascalienne de la liberté politique
qui enracine celle-ci dans la religion chrétienne, seule à donner la clef
ultime du mystère dévoilé par Rousseau à partir du péché originel et la
prise de conscience de la profondeur du mal ( ce que Kant nommera le « mal
radical.). Tocqueville, neveu de Chateaubriand reprendra le flambeau de cette analyse[20].
Chateaubriand est pour
le « bon sens » selon Pascal, à savoir la juste mesure entre
les extrêmes contraires ( « que ce qui est juste soit fort » ou,
faute d ‘y parvenir, « réduire la justice à la force »),
c’est-à-dire opter finalement pour une liberté modérée. Hardiesse subversive de
Pascal lucide sur la misère de la raison humaine dans l’ordre politique, et
dénonçant l‘extrémisme abstrait des libertins du 17ème siècle ( que
suivront les philosophes du 18ème siècle qui ont laissé supposer aux
hommes qu’une justice parfaite jusqu’ici inconnue pourrait être à leur portée
sur terre). Cette position selon Pascal est lourde de lendemains qui déchantent
et conduisent à un double enfer sur la terre d’une société décentrée (
despotique) . Et il nomme « demi-habiles »
les responsables de cet état de chose par incapacité de leur part à s’attacher
à un moindre mal, à savoir celui d’un ordre terrestre construit sur des
conventions ( comme les rangs et les propriétés) . Les « véritables habiles » au contraire ( en concorde
avec le sens commun du peuple), pour ne pas forger de périlleuses fausses vérités abstraites, sont contre
l’illusion d’un ordre temporel idéal possible, comme nous en fourniront la
preuve irréfutable d’abord l’histoire (révolutionnaire et napoléonienne) vécue
par Chateaubriand et ses contemporains ; puis à une échelle sans doute
encore bien supérieure les totalitarismes du XXème siècle[21].
En définitive on peut
sans doute conclure que la réflexion politique de Chateaubriand sur la pensée
maîtresse de Rousseau méditée à travers la médiation pascalienne, débouche en
profondeur sur le plan théologico-politique, et rejoint ainsi, par sa référence
essentielle au christianisme, la méditation augustinienne du thème des deux
Cités au cœur même de l’essence du politique. C’est en tout cas dans le
voisinage et l’entourage d’une telle )
interrogation que tourne implicitement la recherche interrogative d’un
Claude Lefort.
Note 3 Quinet
et la Révolution.
Essence religieuse de la Révolution : la liberté fonde la
démocratie comme exigence spirituelle intérieure réunissant le religieux, le
politique et le social. Pour Quinet protestant profondément croyant (comme le
catholique Chateaubriand) le message chrétien qui est celui de la liberté est
au fond celui de la démocratie. Quinet reproche donc aux partisans et aux
adversaires de la Terreur d’avoir ignoré les uns et les autres le vide
spirituel de la Révolution telle qu’ils l’ont comprise et mise en œuvre dans
les cultes républicains.
Note 4 : A propos de
« La dernière leçon au Collège de France (Gallimard –Seuil 2OO4) de Michel
Foucault.
L’attitude à première
vue indulgente à l’égard du néo-libéralisme américain contemporain ne doit pas,
me semble-t-il , être interprétée, comme il l’a été reproché à Foucault comme conversion
droitière de sa part mais comme volonté de réactiver la tradition libertaire
de la gauche ( dans l’esprit de Mai 68) contre un penchant actuel d’une
certaine gauche à parler le langage
autoritaire de l’ordre et à suspecter l’individualisation et la différenciation
des modes de vie.(Déjà en 68 s’amorçait une distance entre gauchistes et
communistes).
II -
Introduction du débat par R.Constans
Suite à
l’exposé de Raymond COURT
Voici
maintenant présentées le contenu possible
de rubriques qui peuvent donner matière à débat. Il s'agit d'un choix
personnel qui n'a pas prétention à
l'exhaustivité.
Démocraties : A/
institutionnelle, d'Etat, régalienne.
B/
associative : importance en France, un million cent
associations actives; seize millions de membres c’est à dire un Français sur
trois. 200.000 associations emploient plus d'un million de salarié. Le budget
de l'ensemble des associations représente plus de 3,5 pour cent du PIB
national.
Ses fonctions : complémentarité des services
publics de l'Etat ou des collectivités territoriales (santé: handicapés,
personnes âgées ou écoles de musique associatives, participation à la gestion
de certains services (location de salles), rassemblement autour d'un projet bien
défini.
Subsidiarité
voire contre-pouvoir. Des fonctions qui s'opposent au "tout étatique"
et constituent un principe fondamental d'oxygénation de la démocratie.
Différentes formes d'associations. L'économie sociale et solidaire. Pour aller
vite, une infinité d'associations se regroupent qui ont comme projet la
construction d'un objet social qui détermine le développement de l'activité. On
citera les coopératives (les scoop : sociétés coopératives de production où les
salariés sont les actionnaires majoritaires de l'entreprise ; la SCIC : société coopérative
d'intérêt collectif qui vise à répondre à un besoin collectif clairement
identifié sur un territoire ou une filière professionnelle. On trouve dans les
C.A. des salariés, des usagers, des bénévoles, des entreprises, des
associations, des collectivités locales. Ex : une cantine scolaire ou un studio
d’enregistrement. Les mutuelles (personnes morales de droit privé à but non
lucratif qui développent en faveur de leurs membres une activité à caractère
social.
C/ ecclésiale ?? À voir les choses en apparence, nous
apercevons dans l'Eglise Réformée pour des raisons historiques : une maîtrise
précoce de la langue écrite et parlée, un rapport personnel et critique avec
les Ecritures, des fonctionnements démocratiques. Le catholicisme, qui pose
comme fondement la seule succession apostolique, qui se transmet seulement par
les clercs a consacré un pouvoir pyramidal et fortement hiérarchisé. Même
l'envoi en mission par les personnels «mitrés» concerne une minorité (longtemps
féminine) de laïcs parfois plus formalistes que les clercs eux-mêmes.
La différence essentielle de la démocratie de type associatif
avec la démocratie d'Etat repose sur l'équivalence un adhérent = une voix;
le détenteur du pouvoir exécutif appartient au conseil d'administration,
émanation directe de l'Assemblée Générale qui donne un mandat au CA. La
référence est la loi 1901.
Démocratie et autorité
L'Etat se réserve le droit de consulter
ou non mais surtout de décider. Les organes de consultation sont
nombreux depuis le simple conseil de quartier jusqu'au Conseil Economique et social. Le danger, c'est
la consultation de figuration, formelle ou spectacle.
La démocratie
associative et syndicale présente des différences légalement constatables. La
loi Waldeck-Rousseau de 1875 demande la déposition des statuts en mairie; le
Secrétaire est juridiquement le responsable du syndicat, là où le Président
l'est dans la loi de 1901 pour les associations qui peuvent déposer leurs
statuts en Préfecture. Malgré tout "la culture démocratique" est
proche, pour ne pas dire commune. Elle est née des mouvements et révolutions
sociaux du milieu ouvrier français au cours du XIXème siècle. Soudées l'une et
l'autre autour d'un projet, elles sont sans doute moins exposées aux luttes de
pouvoirs et aux combats de chefs. Même si les querelles sévères
scissions/recompositions fréquentes des syndicats, des mutuelles de secours,
des fédérations se rencontrent dans l'histoire sociale des mouvements
populaires. La régulation de ces crises et de ces conflits peuvent s'appuyer
sur des outils plus démocratiques, si chacun joue le jeu.
La démocratie
d'Etat reconnaît: a/ la fonction
d'opposition et la diversité des opinions comme essentielles, hors des
pratiques connues qui favorisent, même lorsque les finalités sont concordantes,
les alliés en place. b/ le respect
des Droits de l'Homme et le contenu de la Constitution. c/ le partage des pouvoirs
(Montesquieu) d/la laïcité
Démocratie et vie familiale; démocratie et enseignement ou
éducation Nous
connaissons les finalités : a/ répondre
au besoin de comprendre, de former les esprits, de raisonner juste, de
connaître nos institutions et notre histoire. b/ acquérir les valeurs qui fondent la démocratie. c/ faire l'apprentissage de la vie
civique et de la citoyenneté par des pédagogies qui développent l'initiative et
la responsabilité : méthodes Freinet, Montessori, conseils d'élèves, gestion
coopérative des classes... Ne pas penser qu'il revient au système éducatif de
tout faire, la famille a aussi un rôle très important dans la préparation du
futur citoyen.
Démocratie et laïcité La séparation de l'Etat et des
religions est centrale. Elle ne veut toutefois pas dire ignorer et combattre.
L'Etat doit pouvoir considérer toutes les religions comme constitutives d'un
"fait social" et dans certaines
conditions en faire des partenaires porteurs de valeurs humanistes et
démocratiques. cf.; les lois de 1905 qui perpétuent des traitements très
inégalitaires entre certains territoires de la République et sont
toutefois reconnues comme positives par la grande majorité des historiens,
philosophes, élus et citoyens. Les textes fondateurs de l'Europe en revanche et
pour ne fâcher personne taisent le passé gréco romano judéo chrétien. Etrange !
Démocratie
et Internet, communication, presse écrite et parlée .Tous ces outils de connaissances et
d'échanges (le site Internet de la ville que j'habite, par exemple) sont des
aides puissants à la formation des esprits et des citoyens. Nous sommes
renvoyés à la nécessité pour une démocratie de préparer en permanence ceux qui
la feront vivre. Toutefois si le savoir est important, l'apprentissage de la pratique démocratique est indispensable. Qu'ils soient étatiques ou aux
mains de groupes financiers, tous les médias doivent en permanence susciter
notre vigilance et nos fonctions
critiques de citoyen avisé.
[1] Avec, au terme, élection
de « députés » au suffrage universel, voire d’un « Président de la République ».
[2] Je renvoie sur ce point à
mon exposé dans le livret du Cercle Condorcet de Bourg en Bresse, p.10-12, sur Les droits de l’homme en question.
[3] Il
importe également de signaler l’action capitale de l’abbé Sieyès comme relais
politique de la pensée de Rousseau au cœur même de la tourmente révolutionnaire
dans son ensemble, à la fois à ses débuts dès 1789 ( avec la parution en 1789
de sa brochure sur Qu’est-ce que le Tiers Etat ? et
son rôle décisif en juin de la même année dans la transformation des Etats
généraux en Assemblée nationale), puis dans ses moments décisifs ( jusqu’au 9 Thermidor An II, juillet 1894 et enfin
jusqu’à l’Empire après le coup d’Etat du 18 Brumaire). Nous reviendrons plus
loin sur sa réflexion politique tout à fait rigoureuse. ( note en annexe ).
[4] .Dans
la lignée décisive, il faut le rappeler, de Montesquieu, le père du libéralisme
politique et dont L’Esprit des lois
date de 1750..
[5] Seule
est légitime, précise Rousseau, une autorité consentie par celui qui s’y soumet, ce consentement devant être
libre dans sa forme ( ni tacite, ni
extorqué) et dans son contenu (à savoir non contraire à notre dignité
d’homme : contre le pacte de soumission).
[6] On
objectera que dans le livre IV ch.2 du Contrat
social Rousseau précise : « Il n’y a qu’une seule loi qui
par sa nature exige un consentement unanime. C’est le pacte social ». Mais
demeure l’impératif de tendre à l’unanimité : « Plus le concert règne
dans les assemblées, c’est-à-dire plus les avis approchent de l’unanimité, plus
aussi la volonté générale est dominante ; mais les longs débats, les
dissensions, le tumulte annoncent l’ascendant des intérêts particuliers et le
déclin de l’Etat » Car en
définitive il semble bien que pour Rousseau la volonté générale est de droit
absolu par rapport aux volontés individuelles. Dans le même chapitre il
n’hésite pas en effet à déclarer : « Quand...l’avis contraire au
mien l’emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m’étais trompé, et que
ce que j’estimais être la volonté générale ne l’était pas. Si mon avis
particulier l’eût emporté, j’aurais fait autre chose que ce que j’avais voulu,
c’est alors que je n’aurais pas été libre ». N’est-ce pas le discours jacobin dans son principe
même ?
[7] Sur
le plan pédagogique Rousseau reprend sans sourciller cette logique
inquisitoriale dans toute sa pureté. Ainsi ce conseil infaillible destiné
explicitement à « captiver »
la « volonté même » de l’enfant : « Sans
doute il ne doit faire que ce qu’il veut, mais il ne doit vouloir que ce que
vous voulez qu’il fasse » (Emile livre II).
[8] On se
reportera à Chateaubriand : Essai
sur les révolutions (1797), Etudes
historiques (1831), Mémoires
écrits irrégulièrement depuis 1811 et parues en volumes en 1849-1850) sous le
titre de Mémoires d’outre-tombe ;
à Tocqueville La Démocratie en Amérique (1835), L’Ancien Régime et la Révolution
(1856) ; puis à. B.Constant Cours de
politique constitutionnelle (1816, 1872). A signaler l’important Chateaubriand
,Poésie et Terreur de Marc Fumaroli ( Gallimard) et
la remarquable Préface de Marcel Gauchet à Ecrits
politiques de Benjamin Constant .De plus
il faut souligner que la réflexion critique tout à fait magistrale
poursuivie par Sieyès au cours de sa longue carrière sur cette question
centrale de la souveraineté et de ses dérives a devancé pour l’essentiel tout
ce débat sur la démocratie. On se reportera enfin à Jean-Denis Bredin : Sieyès, La clef de la Révolution française.(
Livre de poche) dont il souligne l’influence sur « l’article
primordial » de la théorie libérale selon Constant » (o.c. note
p.512).
[9] Celui-ci la qualifie
« d’intrigante », de « démon femelle », de « génie
turbulent » et de « peste » à exiler à Paris « en lui
laissant l’Europe » alors que d’autres l’avaient surnommée « Notre
Dame de Coppet » où elle réunissait ses amis.
[10] A
noter que Rousseau, s’il condamne l’oubli de l’intérêt général au profit des
intérêts particuliers, inversement il récuse tout autant un collectivisme qui
« sous prétexte du bien commun » n’hésite pas à « sacrifier un
innocent au salut de la collectivité » (Article Economie politique). Demeure néanmoins chez Rousseau une
dévalorisation des volontés individuelles face à la volonté générale. D’où la
méfiance à l’égard des rapports des individus entre eux et en général à l’égard
de la société civile, l’hostilité au pluralisme et au gouvernement
représentatif ( lequel, avec la séparation des pouvoirs, définit le
gouvernement pleinement républicain au
sens de Kant, sinon de Rousseau.).
[11] Et à cet égard le
christianisme n’est-il pas le premier courant de pensée qui a permis de penser
la laïcité ?
[12]
Tocqueville affirme dans L’Ancien Régime et la Révolution que
« c’est le despotisme qui peut se
passer de la foi (chrétienne), non la liberté ». On peut d’ailleurs
ajouter, à la lumière de ce qu’on désigne aujourd’hui comme la crise de la
démocratie (déjà pressentie par Tocqueville quand il compare l’individualisme
à « la rouille des sociétés ») que pour un ultra libéralisme
rejetant toute référence transcendante métaphysique ou religieuse, à savoir
toue dimension normative (ce qui définit la notion classique de « droit
naturel », il n’y a plus de limite assignable à la dérive des désirs
individuels et à une tolérance généralisée qui « interdit d’interdire » ( selon le slogan soixante-huitard) jusqu’à
y compris par exemple l’anti-racisme. L’honneur de 89, c’est la Déclaration des droits de l’homme. Telle est la
charte du libéralisme véritable et tel est le rôle incontournable des principes , irréductibles, comme l’a
noté B.Constant contre Burke, à de « simples abstractions ».
[13]
Tocqueville, comme le souligne Fumaroli (p.725), dans les chapitres de La démocratie en Amérique consacrés à la
religion chrétienne, voyait en celle-ci une des raisons de l’étonnante
stabilité et fécondité de la
République américaine. Chateaubriand a lu attentivement ces
pages. A noter que ni l’Angleterre ni l’Amérique n’ont coupé les ponts avec le christianisme,
ayant passé à la démocratie sans rupture révolutionnaire.
[14] Rousseau accuse cette
dernière d’être en Angleterre utilitariste et industrialiste au détriment du
paysage et en Allemagne pré-bureaucratique.
[15] Cf. note annexe 2 sur
Chateaubriand et Pascal.
[16] Rapporté par Pierre
Pachet (dans le Monde du
4 Mai 2007). Sur les textes de Cl. Lefort je me bornerai à citer Essais sur le politique XIX-XXèmes siècles
Collection Esprit/ Seuil, 1986.
[17] D’où aussi également sans doute le fantasme
de la quête de l’unanimité dénoncé
plus haut comme de la hantise des rassemblements populistes à invoquer le « collectif ».
[18].Nous prendrons appui ici
sur les analyses de Jacques Julliard Les
Gauches françaises (Flammarion).
[19]
Toute cette histoire est sous-jacente aux « évènements de 68 » où l’on verra significativement
l’appel fort d’une partie du mouvement étudiant en faveur de la cogestion
opposée à la systématisation autoritaire patronale et où l’on peut retrouver un
écho certain de l’aspiration à ce que Proudhon nommait
« mutuellisme ».
[20]. Voir sur ce point
Fumaroli opus cité p.719-721.
[21]
Pascal. Pensées Edition
Brunschvicg n° 325, 326, 327. (p.479
sq). Il distingue trois catégories d’esprits : 1) les ignorants croient
que la loi est vérité et non simple coutume ou convention. Il ne faut pas leur
dire la vérité sous peine de révolte de leur part mais les « piper » pour qu’ils ne sentent pas
la vérité de l’usurpation ; 2) les « demi-habiles »,eux, savent
que les lois sont fausses, à savoir simplement conventionnelles et non fondées
en raison (c’est leur part d’habilité) mais ils ignorent qu’elles sont
nécessaires à la paix dans la condition humaine telle qu’elle est. Ces
demi-habiles situés entre habiles et
ignorants, estime Pascal, troublent tout le monde et sont des esprits dangereux
( on dirait aujourd’hui subversifs et révolutionnaires comme Rousseau auquel
Chateaubriand applique la leçon pascalienne) ; 3) « les vrais
habiles » enfin, « les grandes âmes » selon Pascal,, savent que
les lois, quoique fausses, sont nécessaires à la paix
Position assurément forte, difficile à réfuter
en ce qu’elle est sans illusion sur le pouvoir politique. Mais peut-on cependant
non seulement renoncer au devoir de s’insurger contre un pouvoir extrême
notamment totalitaire mais encore, pour rester dans l’horizon moyen pascalien,
ne pas rejeter la formule de Goethe : « Mieux vaut une
injustice qu’un désordre ».
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