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Anthropologie conceptuelle de la communauté













ANTRHOPOLOGIE DU GROUPE.

Le concept de  COMMUNAUTÉ

     à l'épreuve de la Psychanalyse.








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Par Mohamed ZAHID , Membre du Cercle Condorcet de Bourg.







SOMMAIRE



INTRODUCTION


ORIGINE

              Résistance épistémologique à étudier les groupes.
              D'autres préjugés d'ordre sociologique.
              Une seconde résistance

ARCHITECTURE PHYSIQUE DE LA COMMUNAUTÉ

           Le groupement
           Groupe primaire ou groupe restreint
           Le groupe secondaire
           Le groupe large

HISTORIQUE

           Durkheim et la conscience collective.
           Sartre et la perspective dialectique.
           Freud et la mythologie.

LE GROUPE DU POINT DE VUE DE LA PSYCHANALYSE

           Quelques éléments de compréhension à propos des communautés fondés sur des groupes
           Groupe comme lieu de fomentation des images. 
           L’apport de Bion
APPORT PSYCHANALYTIQUE SUR LA RECHERCHE DES PHÉNOMÈNES DE GROUPE.

          Le groupe est une menace primaire pour l’individu.
          Le leadership, le meneur, le chef.
          Les fonctions de l’idéal.
          Les fonctions de croyance. L’illusion groupale.
          Les fonctions métadéfensives.
          Les fonctions d’enveloppe groupale.
          Les fonctions de représentation et les systèmes d’interprétation.
          La loi du groupe.
          Les repères identificatoires et l’appartenance groupale.
          Les alliances inconscientes.
          Le contrat narcissique.
          Alliances inconscientes et catastrophes sociales.

ESPACE PUBLIC COMME ESPACE TRANSITIONNEL DE TRANSFORMATION ET D’INTÉGRATION
         Continuité, héritage culturel et rupture du cadre chez le migrant.
       Communauté en accord avec le progrès.
         Idéologie et position mythopoétique.
         Communauté, communautarisme.
         Évolution du concept communauté. Quelques éléments anthropologiques.
         Notion de citoyen


BIBLIOGRAPHIE



INTRODUCTION

Dans ce texte, nous tenterons de distinguer le communautarisme et le communautaire par le biais d'une meilleure connaissance du groupe, de son fonctionnement et de ses processus. Le groupe est un concept qui s'impose à nous, car il est légitimement un espace intermédiaire entre l'individu et le social. Certains concepts sociologiques, philosophiques et psychologiques  nous aideront à localiser les principes fondamentaux qui relient les sujets dans une communauté en particulier au travers des bases jetées par Émile Durkheim, Jean-Paul Sartre et Sigmund Freud et pour finir sous l’angle psychanalytique.

S’extraire de son groupe pour comprendre ce qui s’y passe est impossible pour des raisons psychologiques que je développerai par la suite. L’étude des groupes, qui est extrêmement difficile, l’est encore davantage lorsque des faits de société nous montrent certaines dérégulations entre le politique, le sociétal et le communautaire. J’ai tenté au cours de cet exposé de faire le lien entre les dernières connaissances psychanalytiques de ce qu’est la vie d’un groupe, et la communauté comme lieu de vie toujours menacé de dérives lorsque certains mécanismes de régulation viennent à manquer ou bien lorsque certaines fonctions psychologiques sont perverties à l’occasion de crises sociales.

 ORIGINE.

C'est au 18e siècle que le groupe apparaît comme une réunion de personnes
En anglais nous avons group, gruppe en allemand et gruppo en espagnol. Ce terme n'existe pas dans les langues anciennes pour désigner une association de personnes en nombre restreint poursuivant des buts communs. C'est penser comme une opposition individu-société alors que la vie d'un individu se déroule davantage au sein d'agglomérats restreints.
Le sens 1er de l'italien groppo était "noueux" avant de devenir réunion, assemblage.
Des linguistes lient le mot à celui de grop qui veut dire nœud en ancien provençal et supposent qu'il dérive du germain occidental "kruppa = masse arrondie". Groupe et croupe ont pour même origine l'idée d'un rond. Deux lignes de force Nœud/Rond, qui vont glisser vers la réunion ou le cercle de gens. L'idée-force est le groupe d'égaux (chevalier de la Table ronde, Templiers...).

Résistance épistémologique à étudier les groupes.

La notion de groupe résiste à l'idée que nous le fabriquons, et cela, seulement en termes de moi et les autres. S’il y a conflit, ce sont les autres qui doivent changer.
L'autre résistance  relève du fait que chaque individu a des difficultés à se décentrer. Cette décentration est nécessaire pour le travail et la vie en groupe. Le groupe s'avère nécessaire et utile : « on est plus efficace ensemble qu'isolément ». Le groupe est un intermédiaire entre l'individu et la société, mais il est aussi une aliénation pour la personnalité individuelle. Le groupe peut-être dangereux pour la dignité, la liberté, l'autonomie, il peut conduire au «viol de la personnalité». (cf. secte.)

 Selon l'hypothèse de Freud, le groupe apparaît à chacun des membres comme un obstacle à la poursuite d'une relation privilégiée à deux avec le leader ou avec un autre membre, c'est-à-dire comme obstacle  à  la   réalisation  de  désirs  amoureux  œdipiens.  On  évoque  de  plus   les  angoisses  primitives (persécutrices, dépressives, de morcellement du corps, peur de la dépersonnalisation) que l’étude psychanalytique des groupes a mises en évidence. Les angoisses sont les ressorts derniers de la résistance épistémologique et pratique au groupe.

D'autres préjugés d'ordre sociologique.

Certaines formes de la vie en groupe n’éveillent chez les participants aucune conscience différenciatrice de ce qu'est le groupe.
Celui-ci est vécu par eux comme donné d'avance, comme naturel, inévitable, permanent, comme antérieur et supérieur à l'individu; le groupe est un fait global dont l'individu est une partie interne, assez distincte ; la partie tend à la fusion dans le tout. L'individu ne se pose pas de questions sur le groupe, il vit dans, par, et pour le groupe. La famille, groupe où l'on entre par la naissance, cohabitation oblige, travail en commun, distraction en commun, la recherche ou la production en commun des subsistances et la défense du territoire (famille, clan, tribu, village); l'individu isolé du groupe par accident ou par châtiment ne sait pas survivre et meurt.

Des règles sociales indiscutées établissent les différenciations de rôles: chef investi d'autorité, anciens aptes à conseiller les chefs, shamans, prêtres et sorciers appelés à résoudre les drames individuels et collectifs. Elles fixent aussi la répartition des tâches économiques et sociales: chasse, guerre, agriculture, élevage des enfants, etc.
De tels groupes sont plus ou moins fermés sur eux-mêmes, et en état de guerre latente ou ouverte avec des groupes voisins rivaux. Des règles de l'échange fixent la répartition des femmes et des marchandises à l'intérieur du groupe et ébauchent des types d'alliance de subordination et de réciprocité entre les groupes.
Là s'articule une première résistance épistémologique : un groupe est fait pour être vécu totalement; il n'est pas fait pour qu'on l'étudie, c'est-à-dire pour qu’un de ses membres prenne une certaine distance par rapport à lui ou pour qu’un étranger s’y introduise par pure curiosité.

Une seconde résistance

Elle est liée à l’attitude des grandes organisations collectives (empire, États, armée, ordre religieux) envers les petits groupes.
Les sociétés organisées s’appuient sur de multiples groupes, qui leur fournissent des biens et des citoyens. Elles les favorisent, tout en veillant à minimiser les particularismes locaux, les aspirations à l’indépendance et les querelles intestines entre ces groupes proches; tantôt, elles accentuent leur caractère sédentaire, en les fixant à ces régions de cultures, d’élevages, de pêches, de chasse, c'est-à-dire à une forme de vie rurale; tantôt elles commandent leurs migrations massives.
Lorsqu’une civilisation en expansion en colonise d’autres, elle implante dans les territoires conquis des groupes de ce type : vétérans de l’armée à qui on donne des terres et qui se marient sur place, familles de petite condition, aventuriers hors la loi, minoritaires et déviants qui partent défricher les terres nouvelles ; commerçants, navigateurs et missionnaires qui installent des comptoirs locaux.
En même temps, l’État vainqueur favorise passivement ou déclenche activement l’affaiblissement et la dispersion des groupes de la civilisation vaincue: restriction des droits et des activités ; métissage ; déplacements de populations ; fragmentation des groupes par la dissémination des individus exilés ou réduits en esclavage. Inversement, c’est dans la mesure où les groupes de la civilisation vaincue se sont maintenus nombreux et vivaces qu’un renouveau national peut, par la suite, se produire et déclencher une lutte victorieuse pour l’indépendance.

Lorsqu'une société rejette en son sein une minorité raciale, religieuse, socio-économique, idéologique, celle-ci ne parvient à survivre qu’en donnant ailleurs naissance à de tels groupes.

Pour la société globale, le groupe restreint est une force à son service ; mais il peut se retourner contre elle. D’où la méfiance que la plupart des civilisations ont témoignée aux petits groupes spontanés, la méfiance des églises à l’égard des sectes, des armées à l’égard des francs-tireurs, des partis politiques à l’égard des réunions fractionnelles, des professeurs à l’égard du travail en équipe : tout groupe qui s’isole est un groupe qui conspire, ou qui peut conspirer.
L’État se présente à l’individu comme le vrai « Bien » et lui présente la vie en groupe autonome comme un danger virtuel.
Les représentations spontanées que chaque individu a du groupe en général ou de tel groupe en particulier sont des représentations imaginaires, c'est-à-dire non fondées sur une analyse rationnelle de la réalité. L’individu n’a en général pas conscience de ses représentations ; il y adhère comme à une croyance. Il faut des expériences très particulières pour les faire apparaître (groupe de diagnostic).
Certaines représentations du groupe, véhiculées par le folklore, la littérature, la religion ou inspirées de certaines sciences ou techniques, sont devenues des faits psychiques collectifs, qui imprègnent la pensée, orientent l’action et entretiennent la rêverie sur les groupes.
(Notons au passage quelques-uns de ces thèmes qui composeraient la préhistoire  de la science groupale ; la horde, le village, la commune, la cène, la société secrète, la conspiration, la secte, la corporation maçonnique, la chasse aux sorcières, la Saint Barthélemy, la Terreur, la tour de Babel, l’auberge espagnole, la cabane des fous, la cour des Miracles, le radeau de la méduse, l’expédition des Argonautes, le paradis des Haschischins, etc.)

À travers les âges, on a toujours parlé des groupes, mais par métaphores. Même dans l’étude des groupes on utilise des métaphores , groupe cellule groupe machine asservie…
Pour faire groupe, il est nécessaire de faire trois c'est-à-dire plus de possibilités de liens que de membres. Les faits de groupes sont différents des faits sociaux en ce que la pluralité des individus est, dans le premier cas, une pluralité d’individus qui sont présents ensemble (ou qui l’ont été et s’en souviennent, ou qui savent qu’ils le seront). La co présence entraîne des effets particuliers.
L’ambiguïté vient des sociologues qui parlent de groupes sociaux pour désigner des classes sociales ou des catégories socio-économiques. Employons le terme de groupe pour des personnes réunies. Plusieurs synonymes existent (agglomérat, agrégat, constellation…).

 ARCHITECTURE PHYSIQUE DE LA COMMUNAUTÉ

La communauté est à distinguer de la foule ou de la bande. Dans les études épistémologiques, la communauté a les caractéristiques de ce que l’on nomme groupement. Dans le concept groupement nous aurons à distinguer le groupe primaire, racine du groupe secondaire, lui-même pris dans le groupe large.

Quand des individus se trouvent réunis en grand nombre (plusieurs centaines ou plusieurs milliers) au même endroit, sans avoir cherché explicitement à se réunir, on a affaire à des phénomènes de foules. Chacun visant à satisfaire en même temps une même motivation individuelle. De cette simultanéité à grande échelle, découlent des phénomènes particuliers. On cherche le soleil, l’eau, la sécurité, la vengeance, la bonne parole, etc., pour son propre compte, et on se rencontre avec d’autres estivants sur la même plage, avec d’autres croyants, d’autres électeurs… On parle d’agglomérat, de cohorte, d’attroupement, de tumulte.  Les motivations peuvent être négatives : tous ces hommes sont réunis par la même contrainte. Tantôt il s’agit de contraintes sociales : contingent de recrues, colonne de prisonniers, camp de personnes suspectes ou déplacées, chahut d’étudiants à un cours obligatoire. Tantôt, les contraintes sont dues aux évènements : paquets de survivants d’une catastrophe, caravanes de fuyards, flots de gens encerclés par un incendie ou une inondation, embouteillages, bousculades, émeutes spontanées. La situation de foule développe un état psychologique propre :

a) passivité des gens réunis envers tout ce qui n’est pas la satisfaction immédiate de leur motivation individuelle ;
b) absence ou faible niveau de contacts sociaux et des relations interhumaines ;
c) contagion des émotions et propagation rapide à l’ensemble d’une agitation née en un point ;
d) stimulation latente produite par la présence d’autrui à dose massive, stimulation qui peut éclater sous forme d’action collective passagère et paroxystique, marquée du sceau de la violence ou de l’enthousiasme, ou qui peut induire, à l’inverse, une apathie collective imperméable à presque toutes les interventions.

Cette définition exclut les manifestations préparées (manif, course, coureurs,) des foules spontanées, rassemblées par un incident, aux réactions imprévisibles et facilement dangereuses.

Les phénomènes de masse se rapportent à un ensemble encore plus grand de personnes pas forcément réunies physiquement, car difficiles à rassembler : comme la mode, l’opinion publique, les rumeurs, les courants d’idées, les auditeurs ou les téléspectateurs. L’effort pour organiser ces masses est familier aux spécialistes de l’action syndicale, politique, commerciale ou publicitaire.


Le groupement

Le groupement, c’est lorsque des personnes se réunissent en nombre  allant d’une dizaine à plusieurs centaines de milliers, avec une fréquence de réunion plus ou moins grande, avec une permanence relative des objectifs dans l’intervalle des réunions. Les buts du groupement répondent à un intérêt commun à ses membres. Ceux-ci sont partiellement conscients, mais la prise en charge de cet intérêt ne s’effectue pas activement chez la plupart; ils s’en remettent à leurs représentants, à leurs dirigeants, voire aux évènements. En dehors de la réalisation des buts qui découlent de cet intérêt, les membres n’ont guère de liens ni de contacts. La plupart des associations, au sens de la loi 1901, sont de ce type.
On peut énumérer d’innombrables exemples; assemblée, coalition, collectivité, chambrée, colonie (de vacances), compagnie, confraternité, fraction, harem, légion, troupe, unité.
Selon leur domaine d’activités, les groupements prennent des noms particuliers :
Domaine intellectuel et artistique : académie, chapelle, cercle, club, école.
Domaine religieux : chapitre, concile, conclave, confrérie, congrégation, consistoire, couvent, ordre, paroisse, patronage, consistoire israélite, syntaxe (assemblée des premiers chrétiens), synode.
Domaine politique, social et corporatif : alliance, amicale, bureau, bloc, chambre, cellule, classe, comices, coopérative, corporation, états généraux, faction, fédération, fraternité et sororité, front, ligue, milice, parti, section, sénat, société, soviet, synarchie, syndicat, union.
Selon le cas, ces types de groupement se rapprochent soit de la foule, soit du groupe secondaire. Ils peuvent aussi être créés ou animés par un groupe primaire.


Groupe primaire ou groupe restreint.

Il présente les caractéristiques suivantes :
- nombre restreint des membres, tel que chacun puisse avoir une perception individualisée de chacun des autres, être perçu réciproquement par lui et que de nombreux échanges interindividuels puissent avoir lieu ;
- poursuivre en commun et de façon active des mêmes buts, dotés d’une certaine permanence, assumée comme but du groupe, répondant à divers intérêts des membres, et valorisés ;
- relations affectives pouvant devenir intenses entre les membres (sympathies, antipathies, etc.) et constituer des sous-groupes d’affinités ;
- forte interdépendance des membres et sentiment de solidarité ; union morale des membres du groupe en dehors des réunions et des actions en commun ;
- différenciation des rôles entre les membres ;
- constitution de normes, de croyances, de signaux et de rites propres au groupe (langage et code du groupe) ;
Le vocabulaire est particulièrement riche en termes qui entrent dans cette catégorie ;
Antenne, aréopage, ban, brigade, cartel, caste, cénacle, clan, collège, comité, commando, commission, communauté, commune, consortium, corps, coterie, cour, directoire, équipe, groupuscule, patrouille, phalange, phratrie, pléiade, noyau, secte, tribu, tribunal.
 Dans le groupe se développent des conduites d’entretien, qui visent la conservation du groupe comme réalité physique et comme image idéale, et des conduites de progression, qui amènent la transformation :
a) des relations entre les membres ;
b) de l’organisation interne ;
c) du secteur de la réalité physique ou sociale dans lequel le groupe a choisi ses buts.

La prédominance de l’une ou l’autre conduite existe selon les groupes. Les groupes d’action ont eux aussi des conduites d’entretien.
Lorsque les groupes sont plus dans la communication, ils prennent des formes multiples: assises, carrefours, colloques, comices, conciliabules, conférences, congrès, conseils, conventions, entretiens, palabres, rencontres, séminaires, symposiums, meetings, staff-meetings, brain-trusts, grenelles et cætera.

Le groupe se définit par l’interdépendance, la satisfaction qu’il apporte aux besoins de ses membres, par l’affinité entre ceux-ci, par les communications à l’intérieur du groupe et l’interaction qui en résulte entre chacun de ses membres.
Le groupe est source de vie pour l’individu, mais aussi pour les institutions sociales.
Le groupe se caractérise par ses liens personnels intimes, chaleureux, chargés d’émotion, entre tous les membres ; la solidarité et l’obtention des avantages mutuels y sont spontanées, non calculées. Cette différence entre le groupe primaire et secondaire est bien ressentie dans les pays industrialisés au début du 20e siècle entre la vie paysanne traditionnelle et communautaire et la vie urbaine et impersonnelle.



Le groupe secondaire.

Le groupe secondaire est une organisation, un système social qui fonctionne selon des institutions (juridiques, économiques, politiques, etc.), à l’intérieur d’un segment particulier de la réalité sociale (marché, administration, sport, recherche scientifique, etc.).
La relation entre les membres est froide, impersonnelle, rationnelle, contractuelle, formelle. Les communications par écrit l’emportent sur les échanges parlés.
L’organisation est à la fois :
-        un ensemble de personnes qui poursuivent des fins déterminées, identiques ou complémentaires; en droit administratif c’est une «  association » si les buts sont non lucratifs, une « société » dans le cas contraire. De ce point de vue, on y trouve un mélange plus ou moins complexe de phénomènes de foule, de groupements et de groupes primaires.
-        un ensemble de structures de fonctionnement qui règle les rapports des parties composantes entre elles (services, bureaux, ateliers, comités, etc.), et qui détermine plus ou moins les rôles des personnes.
On choisira le terme de groupal pour qualifier les phénomènes propres au groupe et les relations sociales en général et le terme de groupalité, pour désigner l’ensemble des caractéristiques internes essentielles au groupe.
Les phénomènes groupaux communs sont :
-          L’émergence de meneurs. 
-          L’identification des membres les uns aux autres à des degrés divers.
-          L’adhésion inconsciente à des clichés, images ou stéréotypes.

Le groupe large

La psychanalyse s’y intéresse de près. C’est entre 30 et 80 personnes. L’impossibilité d’identifier chacun, le fait d’être l’objet de regards et d’entendre des discours sans pouvoir contrôler ces regards et ces discours, entraîne des menaces à l’identité personnelle et une recherche de liens avec des partenaires, par exemple l'établissement d’une «  peau » commune avec son voisin.

L’espace du groupe large est vécu comme une image à l’intérieur du corps de la mère. Face à l’angoisse du nourrisson ayant perdu la protection maternelle, angoisse à laquelle régressent les participants, l’animateur a à manifester une présence-soutien qui permet d’enclencher des phénomènes transitionnels au sens winnicottien. Bejerano a fait l’hypothèse que le groupe large favorise le clivage du transfert et qu’il mobilise une imago fraternelle  ou sociétale.



HISTORIQUE


L’histoire des groupes est à écrire. On peut décrire des variétés de groupes typiques par leur fonctionnement : la secte religieuse, le salon mondain, le club d’abord politique puis sportif, le comité d’experts, le cénacle littéraire, l’académie savante, la patrouille militaire…
Les origines du christianisme sont liées à la dynamique des groupes. Le groupe initial, composé de Jésus et des douze apôtres, a été étudié dans cette perspective…La vie des groupes et les tensions de groupe sont intenses dans les premières communautés de croyants. Au  4e siècle, St Benoît fonde de nouvelles formes de vie de groupe.
Plus proches de nous, nous retiendrons trois grands auteurs considérés comme majeurs pour leurs recherches pertinentes sur les groupes et exposerons  quelques éléments théoriques de bases issus de leurs écrits.

Durkheim et la conscience collective.

Fondateur de l’école sociologique française, il jette les bases d’une théorie du groupe.
Le passage du clan à la société est celui de la solidarité mécanique à la solidarité organique fondée sur la division du travail. Le groupe social est plus que la somme de ses membres, c'est-à-dire comme une totalité, totalisation en cours (Sartre).
Il existe une conscience collective (un groupe a ses perceptions, ses sentiments, ses évolutions propres).

Durkheim identifie des fonctions psychologiques différentes :
Les fonctions d’intégration : l’individu anomique, c'est-à-dire out-group, est plus fragile que l’individu intégré à une communauté familiale, professionnelle, religieuse, et se trouve par exemple plus exposé au suicide.
Les fonctions de régulation des relations interindividuelles qui, livrées à elles-mêmes, sombrent dans la méfiance et l’hostilité.
Les fonctions idolâtriques ; un groupe uni et efficient a tendance à adorer, à diviniser la force qu’il sent en lui et qui n’est autre que sa cohésion liée à son code de valeurs.




Sartre et la perspective dialectique.

Dans « Critique de la raison et de la dialectique », Jean Paul Sartre se livre à une étude de l’homme face à des groupes ainsi qu’à une étude de l’histoire collective.
Il pose deux questions à ses yeux majeures: comment un phénomène comme le stalinisme a-t-il été possible? Y a-t-il un moyen d’empêcher la force vive de la Révolution de se pervertir ainsi ?
La dialectique a pour ressort premier la rareté. Les relations humaines se constituent sur ce fonds de lutte contre la rareté (rareté de la nourriture, rareté des femmes, puis rareté des ouvriers, des machines ou des consommateurs). L’échange (échange des marchandises, échange des femmes entre les clans, etc.) fournit le prototype essentiel de ces relations. La violence est un autre aspect de cette lutte, où tout individu est à la fois un survivant possible et un excédentaire à supprimer ; la violence « c’est la rareté intériorisée». Pour Sartre, la lutte contre la rareté est donc la genèse de l’histoire.

Il prend l’exemple de la file d’attente de l’autobus, l’ensemble des lecteurs d’un journal… la masse rurale ou le prolétariat industriel exploité pour évoquer le groupement d’où peuvent provenir des groupes. Les gens de l’autobus subissent la rareté du transport. Ils demeurent anonymes les uns pour les autres, engagent rarement la conversation. C’est une foule passive résignée. Pourtant, ils ont des besoins en commun. Celui-ci leur reste extérieur, imposé du dehors et comme étranger à eux. Chaque individu pense qu’il n’y peut rien malgré les plaintes.

Sartre pense qu’il faut des conditions pour faire du groupe.

Un intérêt commun puissant pour que chaque membre le prenne en charge, un sentiment d’interdépendance pour la satisfaction de cet intérêt, chacun commence de compter pour chacun, chacun fait l’expérience de l’humanité de chacun.

Le passage des communications indirectes aux communications directes. (cf. le virtuel).

Dans la société globale, il existerait des groupes qui défendraient activement des intérêts antagonistes et qui inciteraient implicitement à la lutte contre eux. La naissance du groupe s’inscrit dans le mouvement de tension entre un danger commun et un objectif commun, ce moment au cours duquel on invente des solutions nouvelles et on transforme la réalité au lieu de la subir. C’est l’aspect révolutionnaire, émeute spontanée chère à Sartre. Pour lui, le groupe doit prendre des mesures pour survivre ; chasser celui qui se retire de l’action commune, au profit de la communauté qui institue « l’obligation de la fraternité ».

La différenciation des rôles, la fixation des tâches, précises et limitées, articulée à des objectifs lointains sont l’étape suivante de la constitution du groupe qui possède dès lors sa souveraineté. La solution pour tout groupe consiste à inventer une structure qui concilie son élan initial, sa visée et son enthousiasme premier avec les nécessités pratiques des actions à préparer et à réaliser. Le chef est alors l’organe d’intégration du groupe.

Un groupe qui fonctionne trop bien se prend lui-même pour fin. De nouveau il peut disparaître au profit d’autres groupes. Le groupe aura à faire un travail sur lui-même et en même temps il apprend à se connaître; il acquiert une « connaissance silencieuse sur lui-même ». Ce que le communautarisme en tant que processus n’arrive pas à réaliser.




Freud et la mythologie.

J’utiliserai deux ouvrages pour faire comprendre ce que Freud considère qu’il se passe dans un groupe et dans ses fondations: « Totem et Tabou » (1913), « Psychologie collective et analyse du Moi »(1920).

Divers travaux anthropologiques suggèrent à Freud une mythologie expliquant la transition de la famille au groupe.
Au début était le père de famille: tyran, violent, se réservant pour lui la possession des femelles et chassant ses fils dès qu’ils grandissent pour éviter qu’ils ne portent atteinte à ce droit de propriété. Les frères chassés se révoltent en s’unissant. Tous complices ils procèdent en commun au meurtre du père et au festin où le mort est mangé.
Cette communion totémique matérialise l’identification de chacun à l’aïeul envié et redouté, elle symbolise l’égalité et la solidarité de tous, elle fonde la société nouvelle qui reposera sur deux tabous moraux.

Le premier consiste à renoncer à tuer et à manger l’animal totémique qui est en fait le substitut du père mort idéalisé. Le second consiste à renoncer à avoir des rapports sexuels avec les femmes ou les filles du père, leurs parentes (d’où le tabou de l’inceste et la règle de l’exogamie).

En ressortent plusieurs composantes des relations humaines mises à jour par l’expérience psychanalytique :
-         L’ambivalence (c’est-à-dire intrication d'admiration et de jalousie) des enfants envers l'image paternelle, ainsi que des subordonnés envers ceux qui exercent l'autorité.
-         L’identification pleine de repentir à cette image une fois rejetée.
-         L’idéalisation du père mort, divinisé et devenant objet d'un culte.
-         L’essai d'une société démocratique, où tous les hommes, fils de ce père devenu symbolique, c'est-à-dire législateur, seraient frères et égaux et inventeraient la justice entre eux et le respect mutuel de leurs vies.
-         L’efficacité du meurtre accompli en commun pour apaiser les sentiments de culpabilité, pour réaliser l'identification de chacun au personnage ainsi commémoré et pour incarner l'unité d'action du groupe....
-         L'organisation sociale est sous-tendue par l'imago paternelle. Partout où se trouve l'homme en des situations de rivalité, il transforme sa jalousie en solidarité, chacun renonçant à la domination sur les autres et en rendant par là même impossible à chacun des autres d'aspirer à cette domination; on observe cela dans les fratries nombreuses, à l'école... L'esprit de corps viendrait du retournement de la jalousie en solidarité.

Le ressort de la psychologie groupale est donc l'identification.

L'homme étend volontiers aux chefs l'image qu'enfant il s'est faite de l'autorité paternelle. La conception classique de l'autorité, celle de l'autorité dite naturelle, entérine cette extension. Dieu a autorité sur tous les hommes, car il les a créés; le père a autorité sur ses enfants, car il les a engendrés; le roi a autorité sur ses sujets, car il est "le père" de ses sujets.

Dans la mesure où l'enfant, le sauvage, continue de sommeiller au cœur de l'adulte civilisé, l'être humain ne peut pas faire autrement que de représenter ses chefs tantôt comme des modèles idéaux, tantôt comme des autorités sévères, toutes puissantes et cruelles.

La personnalité humaine est constituée de telle façon qu'à côté du "Moi" (c'est-à-dire le sentiment conscient d'être soi-même) existe "l'Idéal du Moi" (source de l'auto appréciation et de l'autocritique). Dans un groupe social, le chef prend la place de l'idéal du moi chez chacun des membres du groupe. C'est ce qui explique la solidarité psychologique entre les membres du groupe.

Un groupe social cohérent et efficace se représente son chef comme un homme supérieur, aimant d'un amour égal tous les membres de la collectivité, comme connaissant les besoins de chacun. Si le groupe est trop volumineux, une organisation hiérarchique sert d'intermédiaire entre le chef et les membres. Ce qui sous-tend que la cohésion groupale est donc l'imago du père juste et bon.

On peut saisir là l'origine du culte de la personnalité. Le lien psychologique, archaïque et fondamental de l'identification qui attache les membres aux chefs. Par ailleurs, chacun s'identifie aux autres membres du groupe de manière à être tous.

Autre dimension de l'imago paternelle: tout chef est objet de ressentiment. L’image d'un chef sévère et cruel appelle une hostilité en général consciente. L’image du chef idéal appelle également l’hostilité, mais celle-ci est d’ordinaire inconsciente et refoulée. La psychanalyse a montré que tout attachement intime et durable (amitié, amour conjugal, rapports père-fils) laisse un dépôt de sentiments humains, c'est-à-dire un mélange d’amour et de haine.

L’histoire et la légende sont remplies d’explosions plus ou moins brutales de l’hostilité accumulée contre le chef idéal et adoré (cf. : on brûle ce qu’on a adoré) : prophète assassiné, roi guillotiné, général fusillé, homme d’État exilé. Dans certaines sociétés archaïques, le prêtre-devin était dépecé et dévoré... Les sacrifices d’animaux ou de simulacres semblent bien être des actions substitutives au sacrifice du chef, lui-même symbolique du sacrifice secrètement souhaité du père.

Le progrès social semble  être représenté par le passage du groupe social fondé sur l’autorité du père et l’identification au chef, à la société des frères fondée sur l’identification mutuelle, la solidarité, l’engagement réciproque de se respecter et de s’aider, le renoncement à la toute-puissance, à la possession exclusive des biens c'est-à-dire fondée sur des tendances réellement sociales. Ce progrès n’est pas accompli une bonne fois pour toutes. Ce que le communautarisme en tant que processus n’arrive pas à réaliser.
Les images archaïques subsistent, avec toutes leurs forces, dans l’inconscient individuel et collectif, et le retour inévitable du refoulé s’accomplit: culte du héros tué par les siens, besoins d’un chef, désir de diviniser les individus supérieurs, retour des régimes forts. 

D’autre part, si l’organisation fondée sur une autorité de type paternel recèle une source d’instabilité, qui est le ressentiment contre ceux qui commandent à cause de leur sévérité, de leur cruauté ou tout simplement de leur pouvoir, l’organisation fraternelle est minée par le retour des rivalités, par la survivance des amours-propres et des désirs de domination, et par la fragilité des tendances sociales, nées plus tardivement chez l’individu. D’où pour les groupes et les sociétés, une évolution à rythme cyclique du style de commandement, comme Aristote l’avait déjà formulée.

Le mythe psychanalytique du meurtre du père est au groupe ce que le mythe d’Œdipe est à la personnalité individuelle.
L’un et l’autre pointent l’expérience affective que l’individu ou le groupe doivent vivre et surmonter pour se constituer en sujet autonome.
Le garçon devient un homme en se fiant, puis en renonçant à l’amour de sa mère et en demandant et donnant l’amour à une autre femme, d’une part; en assumant et en dépassant sa haine pour le père rival, d’autre part, en se reconnaissant son fils et en désirant devenir père à son tour.
Un groupe devient souverain, au sens où Rousseau a parlé de la souveraineté du peuple comme fondement de la loi sociale, en exorcisant le fantôme du grand monarque, en tuant l’image du chef inné, d’un homme semi-divin, possesseur des pouvoirs et dispensateur de l’ordre civil.

Le meurtre du père est l’opération symbolique par laquelle des individus réunis par un intérêt commun renoncent à tenir leur force et leur unité soit d’un des leurs, quels que soient par ailleurs ses fonctions, ses titres, ses états de services ou l’auréole de son prestige, que ce soit d’un maître, d’un prophète ou d’un héros dont le groupe serait le tributaire, et s’engagent, par un contrat social généralement tacite, à mettre en commun leurs forces, leurs compétences, leurs ressources psychiques et matérielles, à s’entraider, à se respecter, à s’estimer, à assumer toute tâche, toute responsabilité nécessaire à la réussite du groupe et déléguée par lui. Le groupe tire sa force et son unité de son propre fonds. Il n’est plus le fruit d’un héros fondateur, le fils d’un chef supérieur. Il est son propre père, se donne sa propre législation et sa propre justice. À la généalogie de type familial, il substitue un autre ordre de réalité, un autre enchaînement symbolique, qui est celui de la création sociale.


LE GROUPE DU POINT DE VUE DE LA PSYCHANALYSE.

Certains auteurs comme Didier Anzieu, Wilfred Bion et René Kaes ont tenté de décrire les processus internes des groupes pour en dégager des propriétés qui tiennent compte des aspects psychologiques de l’homme en groupe et de ses interdépendances.

Le groupe a une partie consciente, préconsciente et inconsciente. Il fonctionne comme une entité globale, une vie psychique collective. Tout comme un sujet singulier, il a des envies, des désirs, des peurs, des angoisses et des manières de s’en protéger qu’on appelle des « mécanismes de défense ».

Le groupe comme une membrane aurait une surface externe et l’autre interne. Ce qui est très compliqué, c’est la mise en commun des actions et des pensées autour d’une tâche primaire que s’est assignée un groupe.

Il est fondé d’abord par ses sujets, mais aussi par ses croyances, ses images, ses rêveries, ses pensées, ses mythes fondateurs, ainsi que par ses parties obscures, inconscientes, imaginaires et fantasmatiques mises en commun par l’ensemble des sujets d’un groupe.

La face externe est tournée vers la réalité extérieure, physique et sociale, notamment vers d’autres groupes, semblables, différents ou antithétiques quant au système de leurs règles et que le groupe va considérer comme des alliés, des concurrents ou des neutres. Par cette face, l’enveloppe groupale édifie une barrière protectrice contre l’extérieur.

Dans un groupe, chacun des membres projette sur ce groupe une partie de sa vie subjective privée, avec ses fantasmes, ses rêves, ses désirs. Tout cela ne se voit pas de prime abord, mais ne peut être analysé qu’indirectement, d’après les productions des groupes. Généralement ce sont des études faites sur des groupes de formations, en analyse ou groupe de diagnostic.

Kaes parle d’appareil psychique groupal comme par analogie de celui du sujet singulier. Il se construit sur celui des personnes en présence et sur la culture environnante et les représentations collectives du groupe que celle-ci fournit.

Ce qui est important, c’est qu'il y a nécessité pour les membres du groupe, surtout s’ils veulent assurer entre eux un fonctionnement démocratique, de substituer au Moi individuel un Moi de groupe conscient, siège de la pensée. Du coup, un groupe essaye de fonctionner avec ses parties adaptées, mais il doit contenir et mettre en commun ce qui est désorganisé nécessairement chez chaque individu. Tout comme un sujet équilibré, il va refouler tous ses traumatismes anciens, ses parties inconscientes qui lui échappent, ses cauchemars, etc.
La dynamique groupale montre qu’il est très difficile de maintenir un équilibre psychique aussi stable qu’on pourrait le penser.
Le groupe comme structure ou entité qui fonde la communauté quelle qu’elle soit aura les mêmes contraintes psychologiques à vivre ou à surpasser concernant les processus psychiques mis en jeux.
Le sujet constitue les groupes, mais il est aussi constitué de groupes internes incorporés, investis, intégrés (origines familiales, école, culture). Il est déjà un ensemble de groupalités constituées. L’un des processus majeurs d’adaptation est celui du principe de l’identification.

Le groupe dans l’absolu c’est ce qui nous précède toujours, avec ses mythes, ses croyances, ses codes. Le principe de l’identification, c’est ce qui va permettre à tout individu se s’intégrer dans n’importe quel groupe. C’est prendre un signe chez l’autre, se l’attribuer, le transformer pour soi pour qu’il puisse devenir un élément de sa personnalité (son, odeur, image, peau, intonation de la voix, écriture, empathie de l’autre, mode de pensée.).
Il est intéressant de voir comment certains groupes se structurent selon les instances psychiques dominantes.

Quelques éléments de compréhension à propos des communautés fondées sur des groupes.

Je fais l’hypothèse que certains groupes qui revêtent les propriétés de communautés sont plus exposés que d’autres à des fonctionnements de repli, d’autoritarisme envers d’autres groupes, d’idéalisation de l’idéologie œuvrant pour elle-même, tenant peu compte de la vie psychique de l’individu, qui échouent au refoulement c’est-à-dire à ce qui fait lien social.

La seule préoccupation de ce groupe est l’autoconservation noyée dans des craintes de danger venant de l’extérieur (elle est là, la confusion majeure) et entretenue par des idéologies (le plus souvent incarnées par un chef qui a perçu la fragilité du groupe du fait de ses besoins psychologiques, inhérents à sa construction) incapable de se transformer en promesses de vie sociale conjointement avec d’autres groupes. Incapable de surmonter ses angoisses primitives, le groupe va fabriquer des mécanismes de défense très puissants, quitte à les entretenir par le leader lui-même assujetti à ses propres mécanismes primitifs.

 Le groupe comme l’individu traverse toutes les étapes de vie psychoaffective (la phylogenèse). Certains groupes se constituent contre l’autorité structurante qui est toujours incarnée en principe par un tiers (hooligans, milices, groupes extrémistes dangereux, sectes considérées comme telles…) en légitimant une cause commune, en imposant un autoritarisme consenti inconsciemment par chaque membre du groupe, se croyant protégé de ses propres angoisses archaïques et primitives. La liberté de pensée est effacée au profit d’une mère (l’idéologie) qui pense pour le sujet et lui fait l’économie de tout manque qui amène détresse, blessure narcissique et dépression. Au détriment des communautés majoritairement pacifiques, vont se fomenter des groupes extrémistes qui vont exacerber les ingrédients refoulés, justement, de ces angoisses primitives mises en commun des groupes et qui doivent justement rester refoulées pour le bien de l’humanité. Le groupe, même de plus en plus large, devient une entité pathologique par ce phénomène de retournement en son contraire. Un pays, une nation toute entière peut être prise dans ce piège d’origine inconscient.

Que ce soient des groupes naturels (famille, communauté) ou spontanés (regroupés autour d’une tâche primaire structurée: loisirs, travail, théologie…), chaque sujet devant faire partie d’un groupe va nécessairement vivre des tensions internes au risque de son intégrité psychique.
Une production idéologique qui survient dans un groupe comme dénégation défensive d’un fantasme originaire (angoisse d’anéantissement, de morcellement, de castration), constitue une extension au groupe du processus de production mis à jour par la psychologie individuelle en ce qui concerne les théories sexuelles infantiles.

Groupe comme lieu de fomentation des images.

Dès que les êtres humains sont réunis pour travailler, pour se distraire, pour se défendre, pour voler et pour tuer, pour croire, pour changer le monde, pour être instruits ou soignés, des sentiments les traversent et les agitent. Des désirs, des peurs, des angoisses les excitent ou les paralysent, une émotion commune parfois s’empare d’eux et leur donne une impression d’unité. Parfois plusieurs émotions s’entrebattent et déchirent le groupe, parfois plusieurs membres se ferment et se défendent contre l’émotion commune qu’ils ressentent comme menaçante, alors que d’autres s’y abandonnent avec résignation, avec joie, avec frénésie; parfois aussi tous se replient devant l’émoi envahissant et le groupe est morne, apathique, verbeux.

Le groupe est une mise en commun des images intérieures et des angoisses des participants.

Il existe toujours du transfert dans les groupes. Il se clive la plupart du temps. Le transfert positif se concentre généralement sur le petit groupe et le transfert négatif sur le groupe large.

Tout comme  le sujet, la psychanalyse a découvert l’investissement narcissique intense qui, en cas de maladie, de blessures physiques, d’infériorité corporelle ou mentale, de point vulnérable, se fixe sur la zone malade et la protège jusqu’à l’idolâtrie. 

De même, on parle de blessure narcissique pour un groupe. Les groupes se sentent narcissiquement menacés lorsqu’on risque de mettre en évidence chez eux les points faibles qu’ils préfèrent se dissimuler à eux-mêmes et de ternir leur propre image idéale qu’ils entretiennent à grands frais.

Ces deux mécanismes de groupe, investissement narcissique de certains secteurs de leur fonctionnement et défense contre la blessure narcissique, fondent une des résistances majeures à la recherche scientifique sur les groupes.

Rappelons l’exemple de Kaes qui était pressenti pour une étude des communautés juives fermées en Europe occidentale.
Elles sont en voie de disparition: avant qu’il ne soit trop tard, les juifs aimeraient les étudier pour mieux les connaître et pour mieux les garder en mémoire. Si elles s’adressent à un psychologue non juif, il est d’avance suspect non seulement de ne rien pouvoir comprendre, mais même de contribuer, volontairement ou non, à alimenter la propagande antisémite par ce qu’il trouvera et dira. Si elles décident de donner à un juif de la communauté une formation psychosociologique, afin de lui confier l’enquête, on craint que ses études ne lui fassent perdre la foi et ne le déracinent du groupe. Si enfin il existe dans cette communauté un juif, psychologue de métier ou de vocation, et si on le sollicite, les résultats auxquels il aboutit sont rejetés avec indignation: « il a été aveuglé, s’écrie-t-on, par son amour propre, ou par sa méchanceté naturelle, ou par les théories psychologiques à la mode et qui ne tiennent pas debout. Il a grossi des réalités d’ailleurs bien connues et auxquelles on devrait se garder d’attribuer la moindre importance ; il fait le jeu d’une fraction avide de prendre le pouvoir ou de tout réformer ».





L’apport de Bion

Je me suis intéressé également aux travaux de Wilfred Bion pour comprendre les mouvements psychoaffectifs que peuvent vivre des groupes et par là même les communautés.

Bion nous a montré trois aspects fondamentaux du groupe.

Premier énoncé: le comportement d’un groupe s’effectue à deux niveaux, celui de la tâche commune et celui des émotions communes.
La coopération consciente des membres du groupe, nécessaire à la réussite de leurs entreprises, requiert entre eux une circulation émotionnelle et fantasmatique inconsciente.

Deuxième énoncé: les individus dans un groupe se combinent de façon instantanée et involontaire pour agir selon des états affectifs au nombre de trois:

1- Dépendance. Dans ce cas, le groupe demande à être protégé par le leader, dont il dépend pour sa nourriture intellectuelle ou spirituelle.
Le groupe ne peut subsister sans conflits que si le meneur accepte le rôle qu’on lui attribue et les pouvoirs ainsi que les devoirs que cela implique. Le groupe n’avance pas forcément bien… Il se complait dans l’euphorie et la rêverie et néglige la dure réalité. Si le leader refuse, le groupe se sent frustré et abandonné. Un sentiment d’insécurité s’empare des participants.
La dépendance est une régression à cette situation de la petite enfance, où le nourrisson est à la charge de ses parents et où l’action sur la réalité est leur affaire, non la sienne. La dépendance répond à un rêve éternel des groupes, le rêve d’un chef intelligent, bon et fort qui assume à leur place les responsabilités. Nous connaissons ainsi l’un des premiers ressorts des communautés sectaires qui ne privilégieront de manière exclusive que cet aspect-là.

2- Combat/fuite. Le refus du présupposé de dépendance par le leader constitue un danger pour le groupe qui croit alors ne pas pouvoir survivre. En face de ce danger, les participants, en général, se réunissent soit pour lutter soit pour fuir. En ce sens, l’attitude combat-fuite est un signe de solidarité du groupe. Le danger commun rapproche les membres. « On n’a rien fait, c’était futile, on n’y connaît rien... ».

3- Couplage. Parfois, l’attitude combat-fuite aboutit à la formation de sous-groupes ou de couples. Celui-ci peut réformer le groupe entier, mais celui-ci représente un danger pour lui, car il tend à former un sous-groupe indépendant.
Certaines formations syndicales politiques sont souvent traversées par ces trois phénomènes à la fois et qui engendrent le terreau de la création de nouvelles factions ou entités et se légitiment sur une blessure narcissique du fait que la tâche primaire du groupe a pris des destins irrationnels à leurs yeux.


APPORT PSYCHANALYTIQUE SUR LA RECHERCHE DES PHÉNOMÈNES DE GROUPE.

Les dernières connaissances des recherches avancées sur les groupes vont nous intéresser pour comprendre les enjeux psychiques du sujet inséré dans un réseau de communautés. Le dialogue psychique permanent entre groupe et sujet et par analogie communauté, nous amène à identifier quelques phénomènes psychiques naturels qui se produisent chez un sujet ou groupe de sujets selon la place qu’il occupe et corrélativement les assignations dans lesquelles il est pris largement à son insu.

Le groupe est une menace primaire pour l’individu.

Le groupe est une menace primaire pour l’individu, comme une mise en question du Moi. Soit on vit chaque membre comme étant identique à moi, soit comme n’ayant pas d’existence individualisée. C’est le risque de ne plus exister pour soi-même, de perdre tout sens en étant écartelé entre tant de demandes diverses. Le Moi s’éparpille. La présence d’autrui en quantité à la fois multiple et  restreinte, si aucune unité n’est donnée d’avance à ce rassemblement, soit par l’adhésion forte de chacun à un objectif commun, soit par l’attachement à une même personne. Ce phénomène va faire le berceau de la place du chef et de l’idéalisation. Les angoisses suscitées sont: l’angoisse de l’unité perdue, l'angoisse de morcellement, voire d’anéantissement. On abandonne une partie de soi pour faire groupe (cf. plus haut pour la constitution primitive du groupe).
C’est ainsi qu'humainement dans le groupe se constituent certaines fonctions psychologiques pour apaiser ses angoisses primaires. Le groupe se fabrique des fonctions importantes.

Le leadership, le meneur, le chef.

C’est le représentant des parties de soi que les membres du groupe abandonnent pour les remplacer par un certain nombre de formations psychiques partageables avec les autres membres du groupe : une partie de leurs identifications et de leurs idéaux personnels, de leur propre système de protections et de régulations interne, la promesse de l’accomplissement de leurs désirs inconscients, la voie d’accès à cette réalisation et à l’effectuation de la tâche commune. En s’abandonnant au meneur comme dans un rapport amoureux, les participants s’identifient entre eux et à ce qu’il représente pour eux, en leur lieu et place. Ils délèguent au meneur la fonction de représenter leurs idéaux, leurs idées et leurs idoles, d’incarner les figures parentales tutélaires.

Les fonctions de l’idéal.

L’idéalisation protège du manque et de l’incurie, de la dépendance et de la souffrance. Le groupe se fabrique de l’idéal et doit en garantir la validité et y obliger ses membres, dans la forme d’un des contrats qui régissent les rapports entre l’ensemble et ses sujets. C’est le narcissisme des petites différences. Celui-ci procède de la tendance à se mettre à part des autres, à s’affirmer soi-même, à combattre chez les autres leurs expressions narcissiques et à considérer son groupe (ou famille, communauté ou institution ou nation) comme supérieur à celui de l’autre.
Les formations de l’Idéal des autres sont particulièrement haïes et attaquées. Une des fonctions du groupe, qui peuvent être déléguées à l’un de ses membres ou à un dispositif idéologique, est de cultiver ce narcissisme des petites différences.


Les fonctions de croyance. L’illusion groupale.

Parmi les formations auxquelles est attribuée la fonction de soutenir la cohésion et l’identité du groupe, les formations de croyances sont les plus efficaces. Il s’agit de maintenir l’adhésion en une bonté primaire de l’objet: il ne décevra pas, on peut attendre de lui providence, protection et régénération du monde. Dépendance et Couplage en sont des expressions. La fonction de croyance maintient le déni de la défaillance d’un tel objet, elle organise l’attente messianique, qui ne doit pas être démentie, au risque de la chute du désir dès lors que l’objet de l’attente se réalise… Cette fonction s’appuie sur l’Idéal.

La croyance se constitue aussi comme effet du déni de la différence des sexes, entre les générations et entre les groupes. Idéaux, croyances, narcissisme des petites différences sont appelés à la rescousse pour combler l’espace dépressif qui s’ouvre en chacun. En ce sens, la croyance est un antidépresseur groupalement produit. L’illusion permet d’éprouver une continuité entre la réalité psychique et la réalité externe. Elle contribue à établir la certitude d’être partie constituante d’un ensemble d’un même objet commun.

Les fonctions méta défensives.

Le groupe offre à ses membres des organisations défensives communes sur lesquelles ils peuvent adosser leurs mécanismes individuels de défense
L’institutionnalisation du groupe est un exemple d’une fonction méta défensive contre la régression vers les angoisses psychotiques ou archaïques. Les alliances inconscientes (pacte dénégatif, communauté de déni…), mais aussi certaines composantes du leadership, des idéaux et des croyances partagées constituent des méta défenses.

Les fonctions d’enveloppe groupale.

Le groupe doit produire une barrière et une frontière pour assurer l’équilibre de ses échanges avec l’extérieur et la cohésion interne de son espace. Le terme d’enveloppe psychique vient de la métaphore d’une peau qui respire et échange avec l’extérieur, tout en contenant en cohérence les éléments internes. La métaphore du corps est souvent utilisée pour imager le groupe: les membres de… le corps des enseignants… Cette enveloppe psychique, produite par le groupe, est nécessaire à son identité, capable de représenter les limites et les passages sélectifs entre le dedans et le dehors. Elle a une fonction de contenance, de filtre et de pare-excitation que les dispositifs de groupe doivent mettre en place pour assurer leur espace propre. « Un groupe est une enveloppe qui fait tenir ensemble des individus. Tant que cette enveloppe n’est pas constituée, il peut se trouver agrégat humain, il n’y a pas de groupe.» (Anzieu) L’enveloppe psychique groupale est ce « réseau qui enserre les pensées, les paroles, les actions et permet au groupe de se constituer un espace interne… et une temporalité propre ». (Anzieu).

Les fonctions de représentation et les systèmes d’interprétation.

Celles-ci sont étroitement associées aux processus de symbolisation et de pensée. Une de ces fonctions est de produire des autos-représentations du groupe lui-même : inscrites dans les contes, les mythes, les idéologies et les utopies produites par les discours du groupe pour le groupe et pour ses membres, elles fournissent les cadres interprétatifs de la réalité pour l’ensemble du groupe.

La loi du groupe.

La notion de loi du groupe est polysémique. C’est pourquoi il est utile de distinguer loi du groupe et loi de groupe.

Loi du groupe s’entend comme loi locale consentie par ses membres ou imposée à eux de manière implicite ou explicite pour la réalisation de leurs buts imaginaires: par exemple, un présupposé de base attaque/fuite impose sa loi de fonctionnement à ses membres. La fonction de leadership est l’incarnation de cette loi du groupe. Pour l’observateur, il s’agit d’une loi de composition et de fonctionnement du groupe en tant qu’ensemble doté de réalités psychiques.

Loi de groupe définit l’ensemble des règles et des interdits organisateurs des liens et des réalisations possibles pour les membres d’un groupe: cette loi est reçue de l’extérieur et chaque groupe se l’approprie selon ses modalités qui les spécifient dans ses rapports avec la loi du groupe. Les lois de la République en sont garantes.
La loi de groupe s’énonce et s’applique à tous, fondamentalement sous la forme de l’interdit du meurtre de l’animal totémique, et d’une manière plus générale en prescrivant un renoncement mutuel à la satisfaction directe de buts pulsionnels, spécialement des désirs incestueux.

La loi de groupe tient son pouvoir symboligène de sa forme contractuelle : interdit et renoncement rendent possibles les échanges. Elle entre généralement en conflit avec la loi du groupe (revendication communautaire).
Il arrive aussi que son détournement s’effectue pour instituer à sa place la loi du groupe, ses buts et ses moyens étant mis au profit de l’arbitraire et du plaisir d’un seul ou de quelques-uns. Voilà ici un exemple de confusion mentale dans lequel certaines communautés peuvent tomber en s’efforçant d'affirmer des différences qui ne sont pas nécessaires à la survie d’un groupe ou de son idéologie. C’est l’archétype de la confusion entre les deux natures de loi, redoublé par la confusion entre le champ public et le champ privé.


Les repères identificatoires et l’appartenance groupale.

Les liens de groupe s’appuient sur ce que les ethnologues nomment « repère identificatoire » (cf. Lévy-Strauss). Ces repères matériels et culturels articulent l’espace intrapsychique, l’espace culturel et l’espace social : emblèmes et signes de reconnaissance (vêtements, parures), outils et techniques, mais aussi noms, scarifications ou tatouages. Ce sont aussi des signes de distinction : par ses repères chacun peut se faire reconnaître ainsi que par ceux qui n’y appartiennent pas. Les repères identificatoires définissent donc des limites de l’appartenance groupale.

Participent à la fonction de repères identificatoires: la langue et l’usage de la langue, la référence aux énoncés mythiques et idéologiques, aux légendes et aux utopies qui organisent l’espace cognitif du groupe et fondent les représentations de l’origine c'est-à-dire la cohérence et la puissance du discours collectif sur la cause des êtres et des choses.

Les repères identificatoires mobilisent les identifications inconscientes, ils les soutiennent ou les répriment: par exemple, les identifications sexuelles sont cadrées par des rites d’initiation qui confèrent les repères identificatoires propres à un groupe ou à un ensemble plus vaste. On pourrait dire que chaque sujet cherche à faire coïncider dans les liens de groupe, ses identifications inconscientes avec les exigences d’emplacement requis par l’appartenance au groupe et par les repères identificatoires qui en témoignent. Ces repères jouent un rôle important dans l’inscription généalogique : ils sont au principe de la transmission de la vie psychique entre générations.

Les alliances inconscientes.

Celles-ci participent aux fonctions méta défensives du groupe. Le groupe doit offrir à ses membres des organisations défensives communes sur lesquelles ils adossent leurs mécanismes individuels de défense, notamment contre les angoisses psychotiques et archaïques réactivées par la régression dans la situation de groupe. L’institutionnalisation du leadership, l’idéalisation et les idéaux partagés constituent aussi des méta défenses qui encadrent les formations individuelles de l’inconscient. 

Chaque ensemble s’organise positivement sur des investissements mutuels, sur des identifications communes, sur une communauté d’idéaux et de croyance, sur des modalités tolérables de réalisations de désirs. C’est le contrat narcissique.

Chaque ensemble s’organise aussi négativement sur une communauté de renoncement et de sacrifices, sur des effacements, sur des rejets et refoulements, sur un laissé de côté et sur des restes. C’est le pacte dénégatif.

La transmission de la vie psychique  entre les générations et entre les membres d’un groupe s’effectue à travers ces alliances inconscientes… Le lien groupal et la formation de sa réalité psychique propre au groupe s’organisent sur une série d’opérations de refoulement, de déni ou de rejet effectuées en commun par les sujets de ce lien au bénéfice de chacun. Ces opérations caractérisent les alliances inconscientes.

Définition: nous appelons alliance inconsciente une formation psychique intersubjective construite par les sujets d’un lien pour renforcer en chacun d’eux certains processus, certaines fonctions, ou certaines structures issues du refoulement ou du déni, ou du désaveu, et dont ils tirent un bénéfice tel que le lien qui prend pour leur vie psychique une valeur décisive. L’ensemble ainsi lié ne tient sa réalité psychique que des alliances, des contrats, des pactes inconscients que ses sujets concluent et que leur place dans l’ensemble les oblige à maintenir. L’idée d’alliance inconsciente implique celle d’une obligation et d’un assujettissement.


Le contrat narcissique.

Freud dit que l’enfant est porteur des rêves et des désirs non réalisés de ses parents et que le narcissisme primaire de celui-ci s’étaye sur celui de ses parents. Aulagner va plus loin: pour elle, tout sujet vient au monde de la société et de la succession des générations avec la mission d’assurer la continuité de l’ensemble auquel il appartient. En échange, cet ensemble doit investir narcissiquement ce nouvel individu. La «notion de contrat narcissique» correspond à l’attribution à chacun d’une place déterminée dans le groupe et indiquée par les voix qui ont tenu, avant l’apparition du nouveau venu, un discours conforme au mythe fondateur du groupe. Ce discours, qui contient les idéaux et les valeurs du groupe et qui transmet la culture de celui-ci, doit être repris à son compte par chaque sujet. C’est par ce discours et par cet investissement narcissique qu’il est relié à l’Ancêtre fondateur.

Ce contrat narcissique contient une violence structurante, contrairement au pacte narcissique, résultat d’une assignation immuable (le voile, la charria, etc., l’impossible mariage mixte…): cet emplacement ne supportera pas la moindre transformation, car le moindre écart provoquerait une ouverture béante dans la  continuité narcissique. Un tel pacte contient et transmet de la violence destructrice (groupes extrémistes). Ces groupes-là ne tiennent pas compte de l’évolution du social. Chaque sujet voulant quitter le groupe est poursuivi à mort.

Le pacte dénégatif est ce qui, dans tout lien, et pour chaque sujet du lien, est soumis au destin du refoulement ou de la dénégation, du déni, du désaveu, du rejet ou de l’enkystement dans l’espace de chaque sujet, et dans le lien qui lie ces sujets. C’est un accord inconscient sur l’inconscient qui est conclu, et dans certain cas imposé, pour que le lien s’organise et se maintienne dans la complémentarité (inégale) des intérêts de ses sujets, pour que soit assurée la continuité des investissements et des bénéfices liés à la subsistance de la fonction des Idéaux communs, du contrat ou du pacte narcissique.
C’est la polarité organisatrice du lien et de l’espace intersubjectif.

L’autre polarité défensive: il crée dans l’ensemble du non-signifiable, du non transformable des zones de silence, des poches d’intoxication, des espaces poubelles ou des lignes de fuite qui maintiennent le sujet dans un lien étranger à son histoire.

La communauté de déni. C’est une notion qui désigne un déni en commun. Elle rend compte d’une modalité de l’identification de l’enfant à sa mère lorsque celle-ci ne parvenant pas à se dégager de lui pour désigner en un autre lieu que l’enfant, un objet de désir (le père); le déni de l’existence du désir pour le père est à la fois le fait de l’enfant et celui de la mère. D’une manière générale, dans tout lien, la communauté de déni porte sur la réalité du désir de l’autre et elle maintient un état de non-séparation entre les sujets d’un lien. Elle s’accompagne de ce fait un régime d’identifications narcissiques et projectives croisées.

Alliances inconscientes et catastrophes sociales.

Kaes poursuit son idée. Il formule une hypothèse selon laquelle les alliances inconscientes sont la matière psychique essentielle du lien et que les dénis collectifs des catastrophes politiques et sociales, des meurtres génocidaires, avec leur expression révisionniste et les mensonges collectifs, en sont les manifestations les plus communes. Srebrenica est un exemple de déni opéré par le peuple serbe.

L’autre hypothèse est que le lien et les alliances qui le structurent sont traversés par des déterminations sociales, politiques et culturelles plus ou moins pesantes. Il suppose que le dérèglement du cadre méta social a pour conséquence que les garants métapsychiques de la vie psychique sont défaillants ou anéantis. Les clubs de supporters sont le méta-cadre social des hooligans d'autrefois.

Kaes nous présente deux films contemporains (en annexe) pour repérer l’expression de ces alliances inconscientes. Aborder le sujet par la fiction est déjà une forme de prudence de sa part.


ESPACE PUBLIC COMME ESPACE TRANSITIONNEL DE TRANSFORMATION ET D’INTÉGRATION.

Continuité, héritage culturel et rupture du cadre chez le migrant.

Pour finir mon propos, je voulais aborder un dernier concept à propos de l’héritage culturel.

L’héritage culturel peut être envisagé comme le code individu-social encodeur et décodeur des représentations et des affects plus ou moins souplement organisés et mobiles dans une aire culturelle et pour un sujet singulier. L’héritage culturel ne trouve sa valeur et son utilité psychosociale, qu’à fournir une articulation réciproque des formations inconscientes et de formations sociales : le mythe est l’une de ses articulations privilégiées, tout comme son ordre propre, le rite.

Un tel code repose sur une relative congruence entre le Moi des sociétaires et les qualités de l’environnement matériel et humain. Cette supposée congruence, laissant un espace de libre mouvement à chacun, s’obtient par la construction commune, mutuellement concédée et personnellement appropriée de l’espace potentiel.

Concernant les immigrés, la plupart du temps on parle pour eux (quelques témoignages en sont connus) dans un sens où ce qu’évoque en nous leur transitionalité est redressé par la filière idéologique de nos groupes d’appartenance…

La situation du migrant est doublement douloureuse. Il perd ses codes. Lorsqu’ils se déplacent, les groupes d’attraction, d’affiliation, les transitionnels ne disposent plus de l’usage d’aucun code. Les groupes receveurs réagissent de manière défensive face à toute motion susceptible de mettre en péril l’équilibre de leur propre code. On assistera alors à des mécanismes d’enkystement, de rejet, ou encore de transformation du transitionnel pour qu’il devienne recevable (dressage, enculturation).

D’un autre côté, les membres du groupe de départ (d’extraction) ont tendance à vivre l’exode de l’un d’entre eux comme une perte de substance ou d’énergie, et souvent comme une attaque du partant contre son groupe d’origine.

Que se passe-t-il alors que les attaches, les liens, les investissements dans les objets, ce qui représente finalement tous les garants externes de l’équilibre psychique dans une culture donnée, ont été ébranlés ou mis en question, de telle sorte que l’individu est maintenant livré à ses propres motions pulsionnelles, sans pouvoir utiliser le code de son groupe perdu (d’où les investissements affectifs de deuil), ni être en mesure de les investir correctement dans le groupe de réception ? Nous pensons que l’exilé subit le même sort.

Il s’ensuit, à ce moment-là, une alternance entre deux sortes d’angoisses :
-          les unes sont liées au sentiment d’être persécuté du côté du groupe d’extraction comme du côté du groupe de réception,
-          les autres, de caractère dépressif, sont liées au sentiment que tout ce qui pouvait être bon a été fantasmatiquement détruit : le fantasme d’être attaqué de tous les côtés, d’être morcelé, volé, surveillé, épié, sous-tend le fantasme de la perte des bons objets et d’être sans recours…

Les enfants des migrants sont amplement endettés psychiquement de cette souffrance collective (des aïeux) qui dans un nouveau contrat narcissique de substitution, en quête d’idéologie surmoïque, se sont fourvoyés dans des groupes extrémistes comme nouvelle enveloppe psychique (Loi du groupe) s’imaginant que celle-ci sera durable et immuable.

Le pacte dénégatif nouveau en retournement serait que, au lieu d’exprimer le désaveu des enfants (préférer la terre d’asile et se déculturer) à l’égard des parents qui étaient dans l’illusion  de repartir au pays, certains jeunes en crise de cadre culturel vont se fabriquer le leur en réinvestissant outrancièrement des valeurs de codes désagrégées de leurs sens profonds mythiques (signifiants religieux pur et dur, groupe ou bande de délinquants en réaction d’un passif silencieux de soumission). Les jeunes agissent, en retournant (?) (processus adolescent) les zones d’ombres des parents tout en maintenant cette alliance inconsciente de conserver la continuité de la culture.

La capacité d’inventer un projet commun dans un groupe intermédiaire entre les groupes d’extraction et les groupes de réception est une acquisition fondamentale, et un tel projet est un phénomène transitionnel : il se situe dans l’espace public (chacun a la possibilité de faire abstraction de son groupe) où existe la confiance. 
Les échecs de ces espaces transitionnels entre les groupes font que ceux-ci sont à la merci de n’importe quel repreneur déguisé en bienfaiteur charismatique (l’aspect religieux est celui qui marche le mieux avant le politique) pour maintenir l’illusion du danger extérieur potentialisé par n’importe quelle idéologie.

Communauté en accord avec le progrès.

Comme dans tous les groupes, chaque communauté possède en son sein des processus de pensées et de symbolisation qui soutiennent les rites initiatiques religieux en ayant des zones d’accommodation qui lui permettent de s’adapter lorsque cette communauté se trouve dans un territoire hors de son berceau. Elle procède par aménagements, pourvu que les éléments symboliques restent préservés.

En contrepartie, le législateur garant de l’espace laïc propose des aménagements d’espaces et de droit pour laisser vivre les repères fondamentaux de chaque communauté. Cette dernière accepte le modernisme sans perdre de vue ses rites symboligènes. Nous prenons pour exemple la fête de El Aïd-el-kébir (le rituel du sacrifice) qui ne s’opère plus de manière anarchique (qui ne serait pas qualifié comme tel dans les pays musulmans). Les services sanitaires mettent à disposition des vétérinaires pour contrôler la viande ainsi que les abattoirs le jour lunaire même de la tradition qui se pratique dans le monde entier. Cet espace transitionnel préserve à la fois un rituel sacré tout en respectant les règles sanitaires. Le politique a un grand pouvoir et beaucoup de responsabilités dans la création de ces zones intermédiaires.

À l’inverse, certaines communautés qui insistent lourdement sur ses signes différenciateurs, signent de fait cette fragilité à créer du symbole. Plus ses signes ostentatoires sont imposés et radicalisés, plus ceux-ci se confondent avec l’idéologie qui est sous-tendue et prennent la place du fétiche, comme chez le pervers. Les signes confondus avec l’idéologie ne finissent par exister que pour eux-mêmes et annulent justement toute forme de différence, dans le déni et l’omnipotence ; l’autre n’existe pas.

Tout récemment dans l’actualité, deux équipes de football ne souhaitaient pas jouer l’une contre l’autre dans un cadre amical de corporations. L’une qui avait des joueurs issus d’une communauté musulmane, l’autre s’affichant clairement comme groupe communautaire homosexuel. La polémique est devenue politique, car ce sont les dirigeants qui en ont décidé ainsi. Est-il besoin d’afficher tant d’indicateurs identitaires différenciateurs pour jouer au football? La confusion entre le dedans et le dehors, entre l’espace transitionnel qui est en l’occurrence ici le sport et l’appartenance groupale, met en danger chaque individu qui cherche justement à s’enraciner dans quelque chose.

Nous en revenons à l’importance de ceux qui catalysent le groupe. La menace identitaire ne vaut que pour le leader posé en un idéal du moi. Nous pouvons aisément percevoir les effets dévastateurs de telles confusions sur des méta-cadres sociaux à un niveau national.

La modernité crée des moyens de communication sans précédent. La communauté physiquement identifiable n’est plus obligée d’exister en tant que telle dans un lieu déterminé. Elle est confrontée à de nombreuses civilisations dans le monde.

De ce fait, chaque Etat se doit de créer et de repenser en permanence ses zones de transitionnalité (la modernité change les liens sociaux en permanence),  afin de maintenir des métas-cadres sociaux  qui accompagnent les groupes pour aider chaque citoyen à être mieux articulé à ses groupes d’appartenances. Le singulier tout seul ne peut pas vivre sans groupe. Il est constitué de groupes internes dans une polysémie identificatoire. À l’image du sujet, la communauté se construit dans une phylogenèse, et la transmission des héritages procède du générationnel. Il existe deux axes comme dans une famille: la filiation et l’affiliation. La communauté existe non pas par son idéologie, mais par ses mythes fondateurs entretenus à travers la narration de ses ancêtres, eux-mêmes nantis d’une transmission antérieure.

Les groupes de personnes qui se désolidarisent, enclins à créer leur communauté singulière sans pouvoir en rejoindre d’autres, sont peu protégés de leurs angoisses archaïques;  la mentalisation d’un nouveau mythe fondateur ne prendra place que dans d’autres générations. En attendant, certains leaders désignés tomberont dans cette fascination narcissique de leader charismatique  faisant l’économie d’un ancrage généalogique (fantasme de l’auto-engendrement) et l’idéologie prendra place comme une urgence à sauver le groupe. De ce fait, la violence précède toujours la pensée.


Idéologie et position mythopoétique.

Ce qui fait obstacle majeur pour et contre la communauté dite traditionnelle, c’est la tendance à la rigidification de l’idéologie qui fonctionnerait pour elle-même et prendrait la position du fétiche comme chez le pervers (déjà cité plus haut). Nous verrons que celle-ci s’assouplit au profit de représentations pacifiées, car n’ayant aucune prise sur les enjeux de pouvoir.

L’idéologie est un système de représentation fonctionnant comme un processus psychique et comme un processus social (croyance, mythe, idéologie, théorie scientifique…).

Toute idéologie est objectivation et se donne pour objectivité. Elle ne tolère pas l’écart entre le désir et l’objet, entre le dedans et le dehors, entre le Soi et l’environnement. Elle s’organise comme reflet et répétition du même au même, assurant dans la clôture du discours, la clôture des échanges intersubjectifs et la clôture des formes sociales dans lesquelles ces échanges pourraient avoir lieu, s’ils ne mettaient pas en péril le Moi en sa division saturée. L’idéologie (position idéologique) est une fonction d’assignation univoque. C’est aussi l’espace identique au fétiche imposant la mise en place de l’objet du sujet : le temps de l’idéologie empiète sur l’avènement de l’histoire.

La position mythopoétique admet l’ouvert, la transformation et les remaniements dans les assignations. Elle accepte la polysémie, réduite dans la position idéologique : ainsi, le mythe encode différents ordres de réalité.  Il engendre l’interprétation comme perte, retrouvaille et création de sens. Le Mythos est la parole qui surgit comme création parce qu’elle est dans la tradition du déjà-dit, qui n’est pas répétition mais référence : une continuité qui ne s’impose pas comme limite à la Poésie…

Les groupes s’établissent sur l’un ou l’autre. La plupart se constituent dans l’alternance. Ainsi, l’activité de mentalisation et l’organisation sociale dans un groupe oscillent entre une position idéologique chaque fois que le trône et l’autel sont menacés, et une position mythopoétique où s’élabore la créativité de ses membres.

La position idéologique peut remplir une double fonction : une fonction identificatoire et de reconstruction d’une identité commune et une fonction cognitive de représentation cohérente de la raison des choses. Lorsque ces deux fonctions ont pu être remplies, que quelque chose de productif et de bon a pu être expérimenté, la position idéologique s’assouplit. Il est alors possible d’élaborer et proposer des schèmes de conduite ou de représentations beaucoup plus souples et beaucoup plus adaptés à l’événement lui-même.

La position mythopoétique se comprend au travers du sens des mots « poétique », c'est-à-dire générateur d’imprévu, et « mythique », parce que les mentalisations s’appuient sur les grands systèmes de référence du discours originaire, parce que les choses ont déjà été dites et se retrouvent en communication avec l’avant et l’après. Ce qui se produit alors est une création originale, entre sujet et projet.

L’idéologie fabriquée par l’idéologue s’organise selon un modèle de fétichisation, de mise en œuvre de défense contre l’angoisse de castration, de la perte et de la séparation. Il conserve la croyance envers et contre tous les démentis infligés par la réalité.  Le fantasme du tout égalitaire, l’affirmation narcissique normative ont pour corollaire la négation de l’autre. L’égalité ne peut se soutenir dans le discours idéologique et dans les relations de groupe que sur la base d’une inégalité de fait dont le profit sert toujours les idéologues et conforte leur pouvoir. La différence doit être réintroduite, mais ailleurs pour l’exorciser. Elle peut être construite comme une perversion dans le rapport au savoir. Le savoir que construit l’idéologie (au profit de l’idéologue) est un savoir qui se donne à croire comme une vérité absolue.

L’idéologue sait envers et contre tout démenti, et au risque de s’y perdre, si l’objet qui fonde son savoir venait à faire défaut; telle est l’attitude du pervers (et du paranoïaque) qui ne peut prendre la position de celui qui ne sait pas. L’enjeu du savoir n’est pas ici la connaissance, mais la puissance sur l’objet : le non-savoir définit le champ illimité où peut s’exercer la limite arbitraire et narcissique que trace l’idéologue, et qui pour illusionner, doit chercher son public de crédules et naïfs. C’est le champ de l’autre qu’il convient de désillusionner (de pervertir). En cela, l’idéologie crée et maintient le champ de l’illusion dans l’existence sociale : elle lui est coextensive.

Certaines idéologies ont une position paranoïde lorsqu'un ensemble d’individus liés entre eux par un lien social nécessaire et vital se trouve aux prises avec une menace, qu’elle soit interne ou externe, réelle ou fantasmée. Les idéologies sont ordonnées à la survie des individus et du groupe auquel ils s’identifient. L’affirmation narcissique et vitale de soi est toujours corrélative d’une négation de l’autre (sadique) et de soi (masochisme). Dans leur allégeance au Moi idéal, les idéologies sont des idéologies de guerre, quand bien même elles feraient de la paix leur objectif manifeste.

Dans le système idéologique, la surdétermination de l’objet de la croyance est finalement réduite à l’unique, à l’autre persécuteur lui aussi réduit à l’unicité : le mal, le diable, le Juif, l’impur. Le stéréotype et la réduction manichéenne sont les processus même de ces idéologies, la cause et non les causes. Pour finir, l’illusion groupale est le versant narcissique de l’idéologie.

Voici quelques éléments théoriques qui nous éclairent sur les processus groupaux et par extension sur les présupposées communautés pas nécessairement religieuses ou ethniques, dans lesquelles le politique aura de grandes responsabilités (loi de groupe incarnant le tiers) en tant que méta-cadre garantissant des espaces transitionnels psychiques intermédiaires souples et mobiles où chaque groupe (communauté) aura sa part de renoncement, tout comme le sujet singulier aura à contenir ses angoisses d’anéantissement au profit du multiculturalisme et du lien social.

Communauté, communautarisme.

Tout le monde s’accorde à penser que dans le discours politique français contemporain, le terme de communautarisme est saturé de connotations péjoratives, et qu’il ne peut être autrement employé que dans un contexte critique (cf. Communauté et communautarisme aspects comparatifs). C’est un terme qui stigmatise la tendance des groupes à se replier sur eux-mêmes, la subordination de l’individu à la loi communautaire, le risque de conflits intercommunautaires, l’intervention dans le champ politique pour défendre ses intérêts exclusifs.

L’exploitation par les idéologues sans scrupules est à condamner, car de fait elle opère une perversion sur les groupes identifiés avec une assise historique pacifique.

Le communautarisme, si on ose l’employer, doit rester dans la sphère privée.

Taguef parle de « communautarisme absolu » qui constitue un racisme à contre-courant conduisant à des actions politiques violentes, et du « communautarisme relatif et tempéré » : regroupement d’individus avec des critères tolérables et recevables pour les pays démocratiques.

Le communautarisme inquiète pour trois raisons majeures.
-          Il met en jeu des formes spécifiques de détermination identitaire (race, ethnie, religion) liées à des contextes historiques encore très sensibles: esclavagisme, colonisation, exploitations, persécutions, etc.
-          il s’accompagne,  dans ses phases revendicatives, de modes de mobilisation très éloignés de ceux traditionnellement utilisés dans les démocraties modernes. Il se situe souvent hors des partis politiques et des institutions de représentations et de médiation (Fatwa Rushdie).
-          enfin, il préfigure un retour à la société qualifiée d’archaïque où l’individu moderne perdrait son autonomie au profit d’un alignement identitaire imposé par son appartenance.

Taguieff distingue multicommunautarisme et multiculturalisme.

Le premier concept se fonde exclusivement sur le principe du respect inconditionnel du droit à la différence des groupes minoritaires, du droit de promouvoir leur intérêt particulier.

Le multiculturalisme est, lui, parfaitement compatible avec l’idée d’une société civile forte et unifiée, même si une redéfinition et une réactualisation de ses bases dans une optique pluraliste s’imposent. Nous sommes plutôt dans un réseau de communautés qui dématérialise l’aspect physique du territoire.


Évolution du concept de communauté. Quelques éléments anthropologiques.

La définition du concept de communauté est floue et changeante. C’est un outil des sciences sociales utilisé dans un langage d’expert. Il est utilisé par des groupes se réclamant d’une appartenance communautaire. Il est enfin employé par la presse.

Communauté comme une description empirique ou communauté comme idéal et prescription normative: les ethnologues sont perdus.

Il y a l’usage d’un concept en fonction d’un contexte social et intellectuel.
Il y a l’usage politique et idéologique. Si en Angleterre c’est un usage courant, ce terme en France engendre une grande méfiance.

Les ethnologues ont d’abord essayé de trouver les aspects objectifs de la vie communautaire de manière holiste (globale). Puis est venue une vision « subjective» de la communauté. Ils font une analogie entre «réseau» et « communauté ». Qu’est-ce qui lient ces individus si on parle de réseau ?

La communauté pour eux n’est plus une entité sociale. L’industrialisation et l’urbanisation n’ont pas achevé les communautés. Peut-on parler de communautés urbaines ?

L’école de Chicago a produit de nombreuses études sur les sociétés rurales et urbaines.

D’autres auteurs ont postulé des liens entre communauté, classe sociale et réseau. Ils ont considéré que la classe ouvrière était organisée en communautés alors que la classe moyenne l’était en réseaux qui regroupaient des individus.
Les relations sociales des familles sont construites sous la forme de réseaux et non de groupes organisés.

 Bott dit les choses suivantes:
Pour elle, la référence « famille » dans la communauté  n’est pas pertinente : la famille urbaine, même si elle entretient de très nombreux liens sociaux, n’est pas intégrée dans une communauté qui serait un groupe organisé. La communauté n’est pas un groupe constitué, extérieur à la famille urbaine qui s’y insérerait, mais un réseau dense, qui imbrique et qui s’inscrit dans un espace restreint, local, et qui entretient des relations limitées avec l’extérieur. Ce sont des relations sociales actualisées.

Autre étude de Frankenberg :

Frankenberg va étudier les interactions dans le village gallois de Pentrediwaith, société rurale dont la base économique s’est effondrée, ce qui implique l’arrivée d’étrangers. Il va étudier les conflits de divergence, d’intérêt de classe, de religion, de genre et de parenté.

Pentrediwaith est considérée par ses membres comme une communauté. Frankenberg va prendre trois indicateurs : le club de football, celui des supporters du club et celui de l’organisation de la fête du village. Cette description de relations conflictuelles fait apparaître une figure vitale: celle de l’étranger.

Frankenberg montre comment on l'utilise dans des rôles officiels au sein des organisations villageoises, la transformant ainsi en bouc émissaire si les conflits deviennent trop explicites et violents, en épargnant les membres du groupe initial.
Cette gestion des conflits permet à la communauté de donner l’impression d’une unité face à une menace extérieure.

En résumé, pour Frankenberg, Pentrediwaith serait une communauté parce que ses habitants se considèrent comme appartenant à une communauté, ce qui les conduit à adopter une stratégie : tout d’abord de désignation, puis d’instrumentalisation des étrangers. Cette tactique, consciente, permet de préserver le groupe lors de conflits, et d’assurer sa cohésion face à l’extérieur.

La communauté n’est pas réservée au milieu rural. Il tente de donner une définition « opérationnelle » de la communauté. Il propose la suivante: « un lieu de vie sociale marqué par un certain degré de cohérence sociale… Il est question de coopération et de divergence dans les limites d’un système établi de relations et de cultures ». Il tient compte du contexte socio-économique.

Plus récemment, on parle de communauté imaginée. C'est-à-dire que la « communauté » est appréhendée à travers les expériences et les perceptions des acteurs eux-mêmes. L’approche devient plus « subjective ». Le recours au réseau social permet d’explorer les relations entre communautés, identité sociale et personnelle.
Plus récemment, on a vu émerger le concept de « communautés personnelles de réseau » (Pahl, 2006). Ce concept permet de prendre en compte d’autres individus que les membres de la parenté et les voisins, et la mobilité ou dispersions géographiques (la notion de localité n’est plus pertinente).  L’idée de la diaspora, de la triade… en sont des exemples.

Une autre dimension des premiers travaux va émerger avec force: l’ethnicité (Werbner 2002). Les travaux qui sont conduits dans ce domaine ont non seulement étudié les communautés immigrées, mais également la manière dont les politiques construisent ces communautés et les instrumentalisent.

Notion de citoyen.


J’ai relevé enfin quelques définitions intuitives qui lutteraient contre les méfaits des idéologies figées, qui maintiennent certains groupes au stade archaïque de leur évolution.

L’espace public est « l’institution des intervalles qui relient sans intégrer».

La modernité ne signifie pas la disparition de la communauté, mais la possibilité de nouvelles communautés, partielles, puisque ne régissant que certains aspects de la vie. À côté des communautés traditionnelles dont subsistent de nombreuses manifestions, les communautés modernes (à ne pas confondre avec la tendance actuelle contre-pouvoir communautariste) prennent la forme d’un lien social reliant des individus indépendants et séparés qui ne s’opposent pas à la liberté individuelle, mais au contraire peuvent la compléter par une liberté communautaire.

La modernité n’est pas la disparition graduelle des relations communautaires ou de la persistance de formes communautaires régressives. Elle se définit plutôt par la relativisation des formations sociales de type communautaire qui va de pair avec une affirmation des relations sociétaires et une pluralité des communautés vécues… Ce dont nous avons besoin, c’est d’une conception de l’individu qui ne le présente pas comme une monade, comme un moi sans entraves existant antérieurement à la société et indépendamment d’elle, mais comme constitué par un ensemble de positions de sujet, inscrit dans une multiplicité de relations sociales, membre de nombreuses communautés, et participant de toute une pluralité d’identifications collectives .


                                                     ZAHID Mohamed.
                                                     Membre du Cercle Condorcet de Bourg.







BIBLIOGRAPHIE


LIVRES
COMMUNAUTÉ (S.) ,COMMUNAUTARISME (S) : Aspects comparatifs. Sous la direction de Lucienne GERMAIN et Didier LASSALE.
COMMUNAUTARISME : La république divisible ? Agnès Rabagny-Lagoa.
LE GROUPE ET L’INCONSCIENT : L’imaginaire groupal. Didier ANZIEU.
LA DYNAMIQUE DES GROUPES RESTREINTS : Didier ANZIEU, Jean-Yves MARTIN.
CRISE RUPTURE ET DÉPASSEMENT : René KAES.
TOTEM ET TABOU : Sigmund FREUD.
LES THÉORIES PSYCHANALYTIQUES DU GROUPE : que sais-je René KAES.

TEXTES
·        Les alliances inconscientes : René KAES
·        Processus et fonctions de l’idéologie dans les groupes : René KAES
·        La communauté n’est pas le communautarisme : Dossier esprit critique. Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn. Aspect anthropologique
·        Communauté et société : Dossier esprit critique. Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn. Aspect anthropologique Modernité du concept communauté.
·        Les enjeux d’une approche anthropologique de la citoyenneté. Catherine Neveu. La citoyenneté une identité parmi d’autres. Laboratoire d’anthropologie des Institutions et des organisations sociales. ( LAIOS)
·        Le concept de communauté et sa relation avec le communautarisme. Julien Landfried, directeur de l’observatoire du communautarisme 
FILMS
Good Bye Lenin
Depuis qu’Otar est parti.























ANNEXE

Voici la présentation de deux films pour illustrer la notion difficile à saisir de ce que Kaes définit comme dénis collectifs à travers les alliances inconscientes( p. 23).

Depuis qu’Otar est parti. De Julie Bertucelli.

     Le film raconte l’histoire suivante : Eka vit à Tbilissi avec sa fille Marina et sa petite fille Ada. Son fils Otar, qu’elle aime tendrement, est parti chercher meilleure fortune à Paris, d’où il envoie régulièrement de belles lettres à sa mère, célébrant la vie de la capitale, et dans lesquelles il glisse un peu d’argent. Il lui téléphone assez souvent, ce qui a pour effet de rendre jalouse sa sœur Marina, qui déteste sa mère et qui est cependant chargée de veiller sur elle.

       Marina est aussi en grande difficulté de compréhension avec sa fille, qui n’a de tendresse que pour sa grand-mère. Trois générations de femmes, qui vivent l’après Gorbachev avec des sentiments assez divergents dans un appartement étroit.

Otar s’est fait embaucher comme manœuvre dans le bâtiment: il meurt en tombant d’un échafaudage. Sa mort est cachée à sa mère : Marina et Ada, chacune pour des raisons différentes, rédigent de fausses lettres signées d’Otar, à qui elles font jouer le jeu trouble de leurrer sa mère sur sa condition. Ada lit à Eka les lettres qu’elle a elle-même rédigées et continue à lui verser un peu d’argent, comme Otar le faisait.

      Un jour Eka décide de rassembler ses économies et de vendre des objets familiers pour se rendre à Paris avec sa fille et sa petite fille : elle veut revoir son fils. Mais rencontrer Otar s’avère évidemment impossible, et Eka finit par comprendre  qu’il est mort. À son tour elle berne Marina et Ada, supposées ne pas le savoir, elle leur fait croire qu’Otar s’en est allé faire fortune en Amérique. Au moment de rentrer à Tbilissi, à l’aéroport, Ada décide de rester à Paris.
   
Ce film subtil entrelace plusieurs niveaux de lecture : un tableau sombre de la Géorgie post-soviétique plongée dans le chaos et les humiliations. Trois générations de femmes inadaptées, chacune à leur façon, au nouveau régime, qui prolonge l’ancien dans ce qu’il avait de plus désastreux, la culture du mensonge et du secret. Ce qui meurt tragiquement dans le fils bien aimé de la mère, c’est l’espoir d’une relance vitale, illusion maintenue par Eka, reprise par Ada à la fin de l’histoire.

L’essentiel est de maintenir l’illusion, toutes les illusions : celle de la grand-mère sur la période stalinienne à laquelle elle est restée attachée, autant que sur son fils. La mère et sa fille s’allient pour préserver Eka et ses illusions, bien qu’elles-mêmes les dénoncent, pour maintenir leurs propres illusions. Marina et sa fille se retrouvent, non sans conflits, sur ce pacte de déni de réalité.

Good bye Lenin! de Wolfgang Becker. (2003).

 Dans la nuit du 9 au 10 Octobre 1989, le Mur de Berlin tombe, entraînant dans sa chute un immense espoir de libération pour la plupart, et pour d’autres une catastrophe de la croyance.
Christiane Kerner est une militante de Berlin-Est : la veille des événements, elle tombe dans un coma profond à la suite d’un infarctus au moment où elle se trouve confrontée à une manifestation pacifique contre le régime réprimée par la police de l’Est.
Huit mois plus tard, elle ouvre les yeux sur un monde bouleversé, dans lequel toutes les traces et tous les emblèmes du régime socialiste ont disparu. Mais Christiane Kerner ne voit rien. Les médecins ont prévenu son fils Alex qu’elle doit être préservée de toute émotion forte qui pourrait mettre ses jours en péril. Pour la sauvegarder, Alex va construire un immense mensonge, mis en scène avec la complicité de plusieurs de ses voisins, de ses amis, et d’un génial prestidigitateur du faux télévisuel. Tout ce qui pourra l’être sera recherché, construit, falsifié pour maintenir la vision de sa mère identique à celle d’avant la catastrophe, depuis les informations télévisuelles fabriquées donnant le change sur la pérennité du régime, jusqu’à la reconstruction de bocaux de cornichons façon est-allemande.
Comme dans le roman d’Orwell « 1984 », Alex réécrit l’histoire, change le sens de la chute du Mur, et le leurre qu’il met en place est la stricte réplique, tragique et burlesque, du régime de propagande est-allemand. Avec la complicité de ses voisins, celles des adolescents qui viennent jouer et chanter la comédie des « pionniers », la fiction semble triompher dans la stricte logique du désaveu commun et du déni partagé.

Ce que montre très bien le film de W. Becker comme celui de J. Bertucelli, c’est l’émergence du pacte dénégatif comme réponse à la catastrophe que constituent les croyances brisées, la perte des repères, l’identité menacée, l’intolérable incertitude. Le pacte semble s’établir  pour préserver la génération précédente (cf plus haut les enfants d’immigrés) de son rapport à la vérité. Ce qui nous interroge ici, c’est cette fragilité que les jeunes générations attribuent à leurs parents qui ont participé aux « grandes illusions » de ce siècle passé.



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