ANTRHOPOLOGIE
DU GROUPE.
Le concept de COMMUNAUTÉ
à l'épreuve
de la Psychanalyse.
*************************
Par Mohamed ZAHID , Membre du Cercle
Condorcet de Bourg.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
ORIGINE
Résistance épistémologique à étudier les groupes.
D'autres préjugés
d'ordre sociologique.
Une seconde résistance
Une seconde résistance
ARCHITECTURE PHYSIQUE DE LA COMMUNAUTÉ
Le groupement
Groupe primaire ou
groupe restreint
Le groupe secondaire
Le groupe large
HISTORIQUE
Durkheim et la conscience collective.
Sartre et la perspective dialectique.
Freud et la mythologie.
LE GROUPE DU POINT DE VUE DE LA
PSYCHANALYSE
Quelques éléments de
compréhension à propos des communautés fondés sur des groupes
Groupe
comme lieu de fomentation des images.
L’apport de
Bion
APPORT PSYCHANALYTIQUE SUR LA RECHERCHE DES
PHÉNOMÈNES DE GROUPE.
Le groupe est une menace primaire pour l’individu.
Le leadership, le meneur, le chef.
Les fonctions de l’idéal.
Les fonctions de croyance. L’illusion groupale.
Les fonctions métadéfensives.
Les fonctions d’enveloppe groupale.
Les fonctions de représentation et les systèmes d’interprétation.
La loi du groupe.
Les repères identificatoires et l’appartenance groupale.
Les alliances inconscientes.
Le contrat narcissique.
Alliances inconscientes et catastrophes sociales.
ESPACE PUBLIC COMME ESPACE TRANSITIONNEL DE
TRANSFORMATION ET D’INTÉGRATION
Continuité, héritage culturel et rupture du cadre chez le migrant.
Communauté en accord
avec le progrès.
Idéologie et position mythopoétique.
Communauté, communautarisme.
Évolution du concept communauté. Quelques éléments anthropologiques.
Notion de citoyen
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
Dans ce texte, nous tenterons de distinguer le communautarisme et le communautaire par le biais d'une meilleure connaissance du groupe, de son fonctionnement et de ses processus. Le groupe est un concept qui s'impose à nous, car il est légitimement un espace intermédiaire entre l'individu et le social. Certains concepts sociologiques, philosophiques et psychologiques nous aideront à localiser les principes fondamentaux qui relient les sujets dans une communauté en particulier au travers des bases jetées par Émile Durkheim, Jean-Paul Sartre et Sigmund Freud et pour finir sous l’angle psychanalytique.
Dans ce texte, nous tenterons de distinguer le communautarisme et le communautaire par le biais d'une meilleure connaissance du groupe, de son fonctionnement et de ses processus. Le groupe est un concept qui s'impose à nous, car il est légitimement un espace intermédiaire entre l'individu et le social. Certains concepts sociologiques, philosophiques et psychologiques nous aideront à localiser les principes fondamentaux qui relient les sujets dans une communauté en particulier au travers des bases jetées par Émile Durkheim, Jean-Paul Sartre et Sigmund Freud et pour finir sous l’angle psychanalytique.
S’extraire
de son groupe pour comprendre ce qui s’y passe est impossible pour des raisons
psychologiques que je développerai par la suite. L’étude des groupes, qui est
extrêmement difficile, l’est encore davantage lorsque des faits de société nous
montrent certaines dérégulations entre le politique, le sociétal et le
communautaire. J’ai tenté au cours de cet exposé de faire le lien entre les
dernières connaissances psychanalytiques de ce qu’est la vie d’un groupe, et la
communauté comme lieu de vie toujours menacé de dérives lorsque certains
mécanismes de régulation viennent à manquer ou bien lorsque certaines fonctions
psychologiques sont perverties à l’occasion de crises sociales.
ORIGINE.
C'est au 18e siècle que le
groupe apparaît comme une réunion de personnes
En anglais nous avons group, gruppe en allemand et gruppo en espagnol. Ce terme n'existe pas dans les langues anciennes pour désigner une association de personnes en nombre restreint poursuivant des buts communs. C'est penser comme une opposition individu-société alors que la vie d'un individu se déroule davantage au sein d'agglomérats restreints.
En anglais nous avons group, gruppe en allemand et gruppo en espagnol. Ce terme n'existe pas dans les langues anciennes pour désigner une association de personnes en nombre restreint poursuivant des buts communs. C'est penser comme une opposition individu-société alors que la vie d'un individu se déroule davantage au sein d'agglomérats restreints.
Le
sens 1er de l'italien groppo était "noueux" avant de devenir réunion, assemblage.
Des linguistes lient le mot à celui de grop qui veut dire nœud en ancien provençal et supposent qu'il dérive du germain occidental "kruppa = masse arrondie". Groupe et croupe ont pour même origine l'idée d'un rond. Deux lignes de force Nœud/Rond, qui vont glisser vers la réunion ou le cercle de gens. L'idée-force est le groupe d'égaux (chevalier de la Table ronde, Templiers...).
Des linguistes lient le mot à celui de grop qui veut dire nœud en ancien provençal et supposent qu'il dérive du germain occidental "kruppa = masse arrondie". Groupe et croupe ont pour même origine l'idée d'un rond. Deux lignes de force Nœud/Rond, qui vont glisser vers la réunion ou le cercle de gens. L'idée-force est le groupe d'égaux (chevalier de la Table ronde, Templiers...).
Résistance épistémologique à étudier
les groupes.
La notion de groupe résiste à l'idée que nous le fabriquons, et cela, seulement en termes de moi et les autres. S’il y a conflit, ce sont les autres qui doivent changer.
L'autre
résistance relève du fait que chaque
individu a des difficultés à se décentrer. Cette décentration est nécessaire pour le travail et
la vie en groupe.
Le groupe s'avère nécessaire et utile : « on est plus efficace
ensemble qu'isolément ». Le groupe est un intermédiaire entre l'individu
et la société, mais il est aussi une aliénation pour la personnalité
individuelle. Le groupe peut-être dangereux pour la dignité, la liberté,
l'autonomie, il peut conduire au «viol de la personnalité». (cf. secte.)
Selon l'hypothèse de Freud, le groupe apparaît
à chacun des membres comme un obstacle à la poursuite d'une relation
privilégiée à deux avec le leader ou avec un autre membre, c'est-à-dire comme
obstacle à la
réalisation de désirs
amoureux œdipiens. On
évoque de plus
les angoisses primitives (persécutrices, dépressives, de morcellement du corps, peur de la
dépersonnalisation) que l’étude psychanalytique
des groupes a mises en évidence. Les angoisses sont les ressorts derniers de la
résistance épistémologique et pratique au groupe.
D'autres préjugés
d'ordre sociologique.
Certaines
formes de la vie en groupe n’éveillent chez les participants aucune conscience
différenciatrice de ce qu'est le groupe.
Celui-ci
est vécu par eux comme donné d'avance, comme naturel, inévitable, permanent,
comme antérieur et supérieur à l'individu; le groupe est un fait global dont
l'individu est une partie interne, assez distincte ; la partie tend
à la fusion dans le tout. L'individu ne se pose pas de questions sur le groupe,
il vit dans, par, et pour le groupe. La famille, groupe où l'on entre par la
naissance, cohabitation oblige, travail en commun, distraction en commun, la
recherche ou la production en commun des subsistances et la défense du
territoire (famille, clan, tribu, village); l'individu isolé du groupe par
accident ou par châtiment ne sait pas survivre et meurt.
Des règles sociales indiscutées établissent les différenciations de rôles: chef investi d'autorité, anciens aptes à conseiller les chefs, shamans, prêtres et sorciers appelés à résoudre les drames individuels et collectifs. Elles fixent aussi la répartition des tâches économiques et sociales: chasse, guerre, agriculture, élevage des enfants, etc.
De
tels groupes sont plus ou moins fermés sur eux-mêmes, et en état de guerre
latente ou ouverte avec des groupes voisins rivaux. Des règles de l'échange
fixent la répartition des femmes et des marchandises à l'intérieur du groupe et
ébauchent des types d'alliance de subordination et de réciprocité entre les
groupes.
Là s'articule une première résistance épistémologique
: un groupe est fait pour être vécu totalement; il n'est pas fait pour qu'on
l'étudie, c'est-à-dire pour qu’un de ses membres prenne une certaine distance
par rapport à lui ou pour qu’un étranger s’y introduise par pure curiosité.
Une seconde résistance
Elle
est liée à l’attitude des grandes organisations collectives (empire, États,
armée, ordre religieux) envers les petits groupes.
Les
sociétés organisées s’appuient sur de multiples groupes, qui leur fournissent
des biens et des citoyens. Elles les favorisent, tout en veillant à minimiser
les particularismes locaux, les aspirations à l’indépendance et les querelles
intestines entre ces groupes proches; tantôt, elles accentuent leur caractère
sédentaire, en les fixant à ces régions de cultures, d’élevages, de pêches, de
chasse, c'est-à-dire à une forme de vie rurale; tantôt elles commandent leurs
migrations massives.
Lorsqu’une
civilisation en expansion en colonise d’autres, elle implante dans les
territoires conquis des groupes de ce type : vétérans de l’armée à qui on
donne des terres et qui se marient sur place, familles de petite condition, aventuriers
hors la loi, minoritaires et déviants qui partent défricher les terres
nouvelles ; commerçants, navigateurs et missionnaires qui installent des
comptoirs locaux.
En même temps, l’État vainqueur favorise
passivement ou déclenche activement l’affaiblissement et la dispersion des
groupes de la civilisation vaincue: restriction des droits et des
activités ; métissage ; déplacements de populations ;
fragmentation des groupes par la dissémination des individus exilés ou réduits
en esclavage. Inversement, c’est dans la mesure où les groupes de la
civilisation vaincue se sont maintenus nombreux et vivaces qu’un renouveau
national peut, par la suite, se produire et déclencher une lutte victorieuse
pour l’indépendance.
Lorsqu'une
société rejette en son sein une minorité raciale, religieuse, socio-économique,
idéologique, celle-ci ne parvient à survivre qu’en donnant ailleurs naissance à
de tels groupes.
Pour
la société globale, le groupe restreint est une force à son service ; mais
il peut se retourner contre elle. D’où la méfiance que la plupart des
civilisations ont témoignée aux petits groupes spontanés, la méfiance des
églises à l’égard des sectes, des armées à l’égard des francs-tireurs, des
partis politiques à l’égard des réunions fractionnelles, des professeurs à
l’égard du travail en équipe : tout groupe qui s’isole est un groupe qui
conspire, ou qui peut conspirer.
L’État
se présente à l’individu comme le vrai « Bien » et lui présente la
vie en groupe autonome comme un danger virtuel.
Les
représentations spontanées que chaque individu a du groupe en général ou de tel
groupe en particulier sont des représentations imaginaires, c'est-à-dire non
fondées sur une analyse rationnelle de la réalité. L’individu n’a en général
pas conscience de ses représentations ; il y adhère comme à une croyance.
Il faut des expériences très particulières pour les faire apparaître (groupe de
diagnostic).
Certaines
représentations du groupe, véhiculées par le folklore, la littérature, la
religion ou inspirées de certaines sciences ou techniques, sont devenues des
faits psychiques collectifs, qui imprègnent la pensée, orientent l’action et
entretiennent la rêverie sur les groupes.
(Notons au passage
quelques-uns de ces thèmes qui composeraient la préhistoire de la science groupale ; la horde, le
village, la commune, la cène, la société secrète, la conspiration, la secte, la
corporation maçonnique, la chasse aux sorcières, la Saint Barthélemy, la
Terreur, la tour de Babel, l’auberge espagnole, la cabane des fous, la cour des
Miracles, le radeau de la méduse, l’expédition des Argonautes, le paradis des
Haschischins, etc.)
À
travers les âges, on a toujours parlé des groupes, mais par métaphores. Même
dans l’étude des groupes on utilise des métaphores , groupe cellule groupe
machine asservie…
Pour
faire groupe, il est nécessaire de faire trois c'est-à-dire plus de
possibilités de liens que de membres. Les faits de groupes sont différents des
faits sociaux en ce que la pluralité des individus est, dans le premier cas,
une pluralité d’individus qui sont présents ensemble (ou qui l’ont été et s’en
souviennent, ou qui savent qu’ils le seront). La co présence entraîne des
effets particuliers.
L’ambiguïté
vient des sociologues qui parlent de groupes sociaux pour désigner des classes
sociales ou des catégories socio-économiques. Employons le terme de groupe pour
des personnes réunies. Plusieurs synonymes existent (agglomérat, agrégat,
constellation…).
ARCHITECTURE PHYSIQUE DE LA COMMUNAUTÉ
La
communauté est à distinguer de la foule ou de la bande. Dans les études
épistémologiques, la communauté a les caractéristiques de ce que l’on nomme
groupement. Dans le concept groupement nous aurons à distinguer le groupe
primaire, racine du groupe secondaire, lui-même pris dans le groupe large.
Quand
des individus se trouvent réunis en grand nombre (plusieurs centaines ou
plusieurs milliers) au même endroit, sans avoir cherché explicitement à se
réunir, on a affaire à des phénomènes de foules. Chacun visant à satisfaire en
même temps une même motivation individuelle. De cette simultanéité à grande
échelle, découlent des phénomènes particuliers. On cherche le soleil, l’eau, la
sécurité, la vengeance, la bonne parole, etc., pour son propre compte, et on se
rencontre avec d’autres estivants sur la même plage, avec d’autres croyants,
d’autres électeurs… On parle d’agglomérat, de cohorte, d’attroupement, de
tumulte. Les motivations peuvent être
négatives : tous ces hommes sont réunis par la même contrainte. Tantôt il
s’agit de contraintes sociales : contingent de recrues, colonne de
prisonniers, camp de personnes suspectes ou déplacées, chahut d’étudiants à un
cours obligatoire. Tantôt, les contraintes sont dues aux évènements :
paquets de survivants d’une catastrophe, caravanes de fuyards, flots de gens
encerclés par un incendie ou une inondation, embouteillages, bousculades,
émeutes spontanées. La situation de foule développe un état psychologique
propre :
a)
passivité des gens réunis envers tout ce qui n’est pas la satisfaction
immédiate de leur motivation individuelle ;
b)
absence ou faible niveau de contacts sociaux et des relations
interhumaines ;
c)
contagion des émotions et propagation rapide à l’ensemble d’une agitation née
en un point ;
d)
stimulation latente produite par la présence d’autrui à dose massive,
stimulation qui peut éclater sous forme d’action collective passagère et
paroxystique, marquée du sceau de la violence ou de l’enthousiasme, ou qui peut
induire, à l’inverse, une apathie collective imperméable à presque toutes les
interventions.
Cette
définition exclut les manifestations préparées (manif, course, coureurs,) des
foules spontanées, rassemblées par un incident, aux réactions imprévisibles et
facilement dangereuses.
Les
phénomènes de masse se rapportent à un ensemble encore plus grand de personnes
pas forcément réunies physiquement, car difficiles à rassembler : comme la
mode, l’opinion publique, les rumeurs, les courants d’idées, les auditeurs ou
les téléspectateurs. L’effort pour organiser ces masses est familier aux spécialistes
de l’action syndicale, politique, commerciale ou publicitaire.
Le
groupement
Le
groupement, c’est lorsque des personnes se réunissent en nombre allant d’une dizaine à plusieurs centaines de
milliers, avec une fréquence de réunion plus ou moins grande, avec une
permanence relative des objectifs dans l’intervalle des réunions. Les buts du
groupement répondent à un intérêt commun à ses membres. Ceux-ci sont
partiellement conscients, mais la prise en charge de cet intérêt ne s’effectue
pas activement chez la plupart; ils s’en remettent à leurs représentants, à
leurs dirigeants, voire aux évènements. En dehors de la réalisation des buts
qui découlent de cet intérêt, les membres n’ont guère de liens ni de contacts.
La plupart des associations, au sens de la loi 1901, sont de ce type.
On
peut énumérer d’innombrables exemples; assemblée, coalition, collectivité,
chambrée, colonie (de vacances), compagnie, confraternité, fraction, harem,
légion, troupe, unité.
Selon
leur domaine d’activités, les groupements prennent des noms particuliers :
Domaine
intellectuel et artistique : académie, chapelle, cercle, club, école.
Domaine
religieux : chapitre, concile, conclave, confrérie, congrégation,
consistoire, couvent, ordre, paroisse, patronage, consistoire israélite,
syntaxe (assemblée des premiers chrétiens), synode.
Domaine
politique, social et corporatif : alliance, amicale, bureau, bloc,
chambre, cellule, classe, comices, coopérative, corporation, états généraux,
faction, fédération, fraternité et sororité, front, ligue, milice, parti,
section, sénat, société, soviet, synarchie, syndicat, union.
Selon
le cas, ces types de groupement se rapprochent soit de la foule, soit du groupe
secondaire. Ils peuvent aussi être créés ou animés par un groupe primaire.
Groupe primaire ou
groupe restreint.
Il
présente les caractéristiques suivantes :
-
nombre restreint des membres, tel que chacun puisse avoir une perception
individualisée de chacun des autres, être perçu réciproquement par lui et que
de nombreux échanges interindividuels puissent avoir lieu ;
-
poursuivre en commun et de façon active des mêmes buts, dotés d’une certaine
permanence, assumée comme but du groupe, répondant à divers intérêts des
membres, et valorisés ;
-
relations affectives pouvant devenir intenses entre les membres (sympathies,
antipathies, etc.) et constituer des sous-groupes d’affinités ;
-
forte interdépendance des membres et sentiment de solidarité ; union
morale des membres du groupe en dehors des réunions et des actions en
commun ;
-
différenciation des rôles entre les membres ;
-
constitution de normes, de croyances, de signaux et de rites propres au groupe
(langage et code du groupe) ;
Le
vocabulaire est particulièrement riche en termes qui entrent dans cette
catégorie ;
Antenne,
aréopage, ban, brigade, cartel, caste, cénacle, clan, collège, comité,
commando, commission, communauté,
commune, consortium, corps, coterie, cour, directoire, équipe, groupuscule,
patrouille, phalange, phratrie, pléiade, noyau, secte, tribu, tribunal.
Dans le groupe se développent des conduites
d’entretien, qui visent la conservation du groupe comme réalité physique et
comme image idéale, et des conduites de progression, qui amènent la
transformation :
a)
des relations entre les membres ;
b)
de l’organisation interne ;
c)
du secteur de la réalité physique ou sociale dans lequel le groupe a choisi ses
buts.
La
prédominance de l’une ou l’autre conduite existe selon les groupes. Les groupes
d’action ont eux aussi des conduites d’entretien.
Lorsque
les groupes sont plus dans la communication, ils prennent des formes multiples:
assises, carrefours, colloques, comices, conciliabules, conférences, congrès,
conseils, conventions, entretiens, palabres, rencontres, séminaires,
symposiums, meetings, staff-meetings, brain-trusts, grenelles et cætera.
Le
groupe se définit par l’interdépendance, la satisfaction qu’il apporte aux
besoins de ses membres, par l’affinité entre ceux-ci, par les communications à
l’intérieur du groupe et l’interaction qui en résulte entre chacun de ses
membres.
Le
groupe est source de vie pour l’individu, mais aussi pour les institutions
sociales.
Le
groupe se caractérise par ses liens personnels intimes, chaleureux, chargés
d’émotion, entre tous les membres ; la solidarité et l’obtention des
avantages mutuels y sont spontanées, non calculées. Cette différence entre le
groupe primaire et secondaire est bien ressentie dans les pays industrialisés
au début du 20e siècle entre la vie paysanne traditionnelle et communautaire et
la vie urbaine et impersonnelle.
Le groupe secondaire.
Le
groupe secondaire est une organisation, un système social qui fonctionne selon
des institutions (juridiques, économiques, politiques, etc.), à l’intérieur
d’un segment particulier de la réalité sociale (marché, administration, sport,
recherche scientifique, etc.).
La
relation entre les membres est froide, impersonnelle, rationnelle,
contractuelle, formelle. Les communications par écrit l’emportent sur les
échanges parlés.
L’organisation
est à la fois :
-
un
ensemble de personnes qui poursuivent des fins déterminées, identiques ou
complémentaires; en droit administratif c’est une «
association » si les buts sont non lucratifs, une « société »
dans le cas contraire. De ce point de vue, on y trouve un mélange plus ou moins
complexe de phénomènes de foule, de groupements et de groupes primaires.
-
un
ensemble de structures de fonctionnement qui règle les rapports des parties
composantes entre elles (services, bureaux, ateliers, comités, etc.), et qui
détermine plus ou moins les rôles des personnes.
On
choisira le terme de groupal pour
qualifier les phénomènes propres au groupe et les relations sociales en général
et le terme de groupalité, pour
désigner l’ensemble des caractéristiques internes essentielles au groupe.
Les
phénomènes groupaux communs sont :
-
L’émergence
de meneurs.
-
L’identification
des membres les uns aux autres à des degrés divers.
-
L’adhésion
inconsciente à des clichés, images ou stéréotypes.
Le
groupe large
La
psychanalyse s’y intéresse de près. C’est entre 30 et 80 personnes.
L’impossibilité d’identifier chacun, le fait d’être l’objet de regards et
d’entendre des discours sans pouvoir contrôler ces regards et ces discours, entraîne
des menaces à l’identité personnelle et une recherche de liens avec des
partenaires, par exemple l'établissement d’une « peau » commune
avec son voisin.
L’espace
du groupe large est vécu comme une image à l’intérieur du corps de la mère.
Face à l’angoisse du nourrisson ayant perdu la protection maternelle, angoisse
à laquelle régressent les participants, l’animateur a à manifester une
présence-soutien qui permet d’enclencher des phénomènes transitionnels au sens
winnicottien. Bejerano a fait l’hypothèse que le groupe large favorise le
clivage du transfert et qu’il mobilise une imago fraternelle ou sociétale.
HISTORIQUE
L’histoire
des groupes est à écrire. On peut décrire des variétés de groupes typiques par
leur fonctionnement : la secte religieuse, le salon mondain, le club
d’abord politique puis sportif, le comité d’experts, le cénacle littéraire,
l’académie savante, la patrouille militaire…
Les
origines du christianisme sont liées à la dynamique des groupes. Le groupe
initial, composé de Jésus et des douze apôtres, a été étudié dans cette
perspective…La vie des groupes et les tensions de groupe sont intenses dans les
premières communautés de croyants. Au 4e
siècle, St Benoît fonde de nouvelles formes de vie de groupe.
Plus
proches de nous, nous retiendrons trois grands auteurs considérés comme majeurs
pour leurs recherches pertinentes sur les groupes et exposerons quelques éléments théoriques de bases issus
de leurs écrits.
Durkheim et la
conscience collective.
Fondateur
de l’école sociologique française, il jette les bases d’une théorie du groupe.
Le
passage du clan à la société est celui de la solidarité mécanique à la
solidarité organique fondée sur la division du travail. Le groupe social est
plus que la somme de ses membres, c'est-à-dire comme une totalité, totalisation
en cours (Sartre).
Il
existe une conscience collective (un groupe a ses perceptions, ses sentiments,
ses évolutions propres).
Durkheim
identifie des fonctions psychologiques différentes :
Les fonctions d’intégration : l’individu anomique, c'est-à-dire
out-group, est plus fragile que l’individu intégré à une communauté familiale,
professionnelle, religieuse, et se trouve par exemple plus exposé au suicide.
Les fonctions de
régulation
des relations interindividuelles qui, livrées à elles-mêmes, sombrent dans la
méfiance et l’hostilité.
Les fonctions idolâtriques ; un groupe uni et
efficient a tendance à adorer, à diviniser la force qu’il sent en lui et qui
n’est autre que sa cohésion liée à son code de valeurs.
Sartre
et la perspective dialectique.
Dans
« Critique de la raison et de la dialectique », Jean Paul Sartre se
livre à une étude de l’homme face à des groupes ainsi qu’à une étude de
l’histoire collective.
Il
pose deux questions à ses yeux majeures: comment un phénomène comme le
stalinisme a-t-il été possible? Y a-t-il un moyen d’empêcher la force vive de
la Révolution de se pervertir ainsi ?
La
dialectique a pour ressort premier la rareté.
Les relations humaines se constituent sur ce fonds de lutte contre la rareté
(rareté de la nourriture, rareté des femmes, puis rareté des ouvriers, des
machines ou des consommateurs). L’échange
(échange des marchandises, échange des femmes entre les clans, etc.) fournit le
prototype essentiel de ces relations. La
violence est un autre aspect de cette lutte, où tout individu est à la fois
un survivant possible et un excédentaire à supprimer ; la violence « c’est la rareté intériorisée». Pour Sartre, la lutte contre la
rareté est donc la genèse de l’histoire.
Il
prend l’exemple de la file d’attente de l’autobus, l’ensemble des lecteurs d’un
journal… la masse rurale ou le prolétariat industriel exploité pour évoquer le
groupement d’où peuvent provenir des groupes. Les gens de l’autobus subissent
la rareté du transport. Ils demeurent anonymes les uns pour les autres,
engagent rarement la conversation. C’est une foule passive résignée. Pourtant,
ils ont des besoins en commun. Celui-ci leur reste extérieur, imposé du dehors
et comme étranger à eux. Chaque individu pense qu’il n’y peut rien malgré les
plaintes.
Sartre
pense qu’il faut des conditions pour faire du groupe.
Un intérêt commun
puissant pour que chaque membre
le prenne en charge, un sentiment d’interdépendance pour la satisfaction de cet
intérêt, chacun commence de compter pour chacun, chacun fait l’expérience de
l’humanité de chacun.
Le passage des
communications indirectes aux communications directes. (cf. le virtuel).
Dans
la société globale, il existerait des groupes qui défendraient activement des
intérêts antagonistes et qui inciteraient implicitement à la lutte contre eux.
La naissance du groupe s’inscrit dans le mouvement de tension entre un danger
commun et un objectif commun, ce moment au cours duquel on invente des
solutions nouvelles et on transforme la réalité au lieu de la subir. C’est
l’aspect révolutionnaire, émeute spontanée chère à Sartre. Pour lui, le groupe
doit prendre des mesures pour survivre ; chasser celui qui se retire de
l’action commune, au profit de la communauté qui institue « l’obligation
de la fraternité ».
La
différenciation des rôles, la fixation des tâches, précises et limitées,
articulée à des objectifs lointains sont l’étape suivante de la constitution du
groupe qui possède dès lors sa souveraineté. La solution pour tout groupe
consiste à inventer une structure qui concilie son élan initial, sa visée et
son enthousiasme premier avec les nécessités pratiques des actions à préparer
et à réaliser. Le chef est alors l’organe d’intégration du groupe.
Un
groupe qui fonctionne trop bien se prend lui-même pour fin. De nouveau il peut
disparaître au profit d’autres groupes. Le groupe aura à faire un travail sur
lui-même et en même temps il apprend à se connaître; il acquiert une
« connaissance silencieuse sur lui-même ». Ce que le communautarisme en tant que
processus n’arrive pas à réaliser.
Freud
et la mythologie.
J’utiliserai
deux ouvrages pour faire comprendre ce que Freud considère qu’il se passe dans
un groupe et dans ses fondations: « Totem et Tabou » (1913),
« Psychologie collective et analyse du Moi »(1920).
Divers
travaux anthropologiques suggèrent à Freud une mythologie expliquant la
transition de la famille au groupe.
Au
début était le père de famille: tyran, violent, se réservant pour lui la
possession des femelles et chassant ses fils dès qu’ils grandissent pour éviter
qu’ils ne portent atteinte à ce droit de propriété. Les frères chassés se
révoltent en s’unissant. Tous complices ils procèdent en commun au meurtre du
père et au festin où le mort est mangé.
Cette
communion totémique matérialise l’identification de chacun à l’aïeul envié et
redouté, elle symbolise l’égalité et la solidarité de tous, elle fonde la
société nouvelle qui reposera sur deux tabous moraux.
Le
premier consiste à renoncer à tuer et à manger l’animal totémique qui est en
fait le substitut du père mort idéalisé. Le second consiste à renoncer à avoir
des rapports sexuels avec les femmes ou les filles du père, leurs parentes
(d’où le tabou de l’inceste et la règle de l’exogamie).
En
ressortent plusieurs composantes des relations humaines mises à jour par
l’expérience psychanalytique :
-
L’ambivalence
(c’est-à-dire intrication d'admiration et de jalousie) des enfants envers
l'image paternelle, ainsi que des subordonnés envers ceux qui exercent
l'autorité.
-
L’identification
pleine de repentir à cette image une fois rejetée.
-
L’idéalisation
du père mort, divinisé et devenant objet d'un culte.
-
L’essai
d'une société démocratique, où tous les hommes, fils de ce père devenu
symbolique, c'est-à-dire législateur, seraient frères et égaux et inventeraient
la justice entre eux et le respect mutuel de leurs vies.
-
L’efficacité
du meurtre accompli en commun pour apaiser les sentiments de culpabilité, pour
réaliser l'identification de chacun au personnage ainsi commémoré et pour
incarner l'unité d'action du groupe....
-
L'organisation sociale
est sous-tendue par l'imago paternelle. Partout où se trouve l'homme en des situations
de rivalité, il transforme sa jalousie en solidarité, chacun renonçant à la
domination sur les autres et en rendant par là même impossible à chacun des
autres d'aspirer à cette domination; on observe cela dans les fratries
nombreuses, à l'école... L'esprit de corps viendrait du retournement de la
jalousie en solidarité.
Le
ressort de la psychologie groupale est donc l'identification.
L'homme
étend volontiers aux chefs l'image qu'enfant il s'est faite de l'autorité
paternelle. La conception classique de l'autorité, celle de l'autorité dite
naturelle, entérine cette extension. Dieu a autorité sur tous les hommes, car
il les a créés; le père a autorité sur ses enfants, car il les a engendrés; le
roi a autorité sur ses sujets, car il est "le père" de ses
sujets.
Dans la mesure où l'enfant, le sauvage, continue de sommeiller au cœur de l'adulte civilisé, l'être humain ne peut pas faire autrement que de représenter ses chefs tantôt comme des modèles idéaux, tantôt comme des autorités sévères, toutes puissantes et cruelles.
La personnalité humaine est constituée de telle façon qu'à côté du "Moi" (c'est-à-dire le sentiment conscient d'être soi-même) existe "l'Idéal du Moi" (source de l'auto appréciation et de l'autocritique). Dans un groupe social, le chef prend la place de l'idéal du moi chez chacun des membres du groupe. C'est ce qui explique la solidarité psychologique entre les membres du groupe.
Un
groupe social cohérent et efficace se représente son chef comme un homme
supérieur, aimant d'un amour égal tous les membres de la collectivité, comme
connaissant les besoins de chacun. Si le groupe est trop volumineux, une
organisation hiérarchique sert d'intermédiaire entre le chef et les membres. Ce
qui sous-tend que la cohésion groupale est donc l'imago du père juste et bon.
On
peut saisir là l'origine du culte de la personnalité. Le lien psychologique,
archaïque et fondamental de l'identification qui attache les membres aux chefs.
Par ailleurs, chacun s'identifie aux autres membres du groupe de manière à être
tous.
Autre
dimension de l'imago paternelle: tout chef est objet de ressentiment. L’image
d'un chef sévère et cruel appelle une hostilité en général consciente. L’image
du chef idéal appelle également l’hostilité, mais celle-ci est d’ordinaire
inconsciente et refoulée. La psychanalyse a montré que tout attachement intime
et durable (amitié, amour conjugal, rapports père-fils) laisse un dépôt de
sentiments humains, c'est-à-dire un mélange d’amour et de haine.
L’histoire
et la légende sont remplies d’explosions plus ou moins brutales de l’hostilité
accumulée contre le chef idéal et adoré (cf. : on brûle ce qu’on a
adoré) : prophète assassiné, roi guillotiné, général fusillé, homme d’État
exilé. Dans certaines sociétés archaïques, le prêtre-devin était dépecé et
dévoré... Les sacrifices d’animaux ou de simulacres semblent bien être des
actions substitutives au sacrifice du chef, lui-même symbolique du sacrifice
secrètement souhaité du père.
Le progrès social semble être représenté par le passage du groupe social fondé sur l’autorité du
père et l’identification au chef, à la
société des frères fondée sur l’identification mutuelle, la solidarité,
l’engagement réciproque de se respecter et de s’aider, le renoncement à la
toute-puissance, à la possession exclusive des biens c'est-à-dire fondée sur
des tendances réellement sociales.
Ce progrès n’est pas accompli une bonne fois pour toutes. Ce que le communautarisme
en tant que processus n’arrive pas à réaliser.
Les
images archaïques subsistent, avec toutes leurs forces, dans l’inconscient
individuel et collectif, et le retour inévitable du refoulé s’accomplit: culte
du héros tué par les siens, besoins d’un chef, désir de diviniser les individus
supérieurs, retour des régimes forts.
D’autre
part, si l’organisation fondée sur une autorité de type paternel recèle une
source d’instabilité, qui est le ressentiment contre ceux qui commandent à
cause de leur sévérité, de leur cruauté ou tout simplement de leur pouvoir,
l’organisation fraternelle est minée par le retour des rivalités, par la
survivance des amours-propres et des désirs de domination, et par la fragilité des tendances sociales, nées
plus tardivement chez l’individu. D’où pour les groupes et les sociétés, une
évolution à rythme cyclique du style de commandement, comme Aristote l’avait
déjà formulée.
Le mythe psychanalytique
du meurtre du père est au groupe ce que le mythe d’Œdipe est à la personnalité
individuelle.
L’un
et l’autre pointent l’expérience affective que l’individu ou le groupe doivent
vivre et surmonter pour se constituer en sujet autonome.
Le
garçon devient un homme en se fiant, puis en renonçant à l’amour de sa mère et
en demandant et donnant l’amour à une autre femme, d’une part; en assumant et
en dépassant sa haine pour le père rival, d’autre part, en se reconnaissant son
fils et en désirant devenir père à son tour.
Un
groupe devient souverain, au sens où Rousseau a parlé de la souveraineté du
peuple comme fondement de la loi sociale,
en exorcisant le fantôme du grand monarque, en tuant l’image du chef inné, d’un
homme semi-divin, possesseur des pouvoirs et dispensateur de l’ordre civil.
Le meurtre du père est
l’opération symbolique par laquelle des individus réunis par un intérêt commun
renoncent à tenir leur force et leur unité soit d’un des leurs, quels que
soient par ailleurs ses fonctions, ses titres, ses états de services ou
l’auréole de son prestige, que ce soit d’un maître, d’un prophète ou d’un héros
dont le groupe serait le tributaire, et s’engagent, par un contrat social généralement tacite, à mettre en commun leurs
forces, leurs compétences, leurs ressources psychiques et matérielles, à
s’entraider, à se respecter, à s’estimer, à assumer toute tâche, toute
responsabilité nécessaire à la réussite du groupe et déléguée par lui. Le
groupe tire sa force et son unité de son propre fonds. Il n’est plus le fruit
d’un héros fondateur, le fils d’un chef supérieur. Il est son propre père, se
donne sa propre législation et sa propre justice. À la généalogie de type
familial, il substitue un autre ordre de réalité, un autre enchaînement
symbolique, qui est celui de la création
sociale.
LE GROUPE DU POINT DE
VUE DE LA PSYCHANALYSE.
Certains
auteurs comme Didier Anzieu, Wilfred Bion et René Kaes ont tenté de décrire les
processus internes des groupes pour en dégager des propriétés qui tiennent
compte des aspects psychologiques de l’homme en groupe et de ses
interdépendances.
Le
groupe a une partie consciente, préconsciente et inconsciente. Il fonctionne
comme une entité globale, une vie psychique collective. Tout comme un sujet
singulier, il a des envies, des désirs, des peurs, des angoisses et des
manières de s’en protéger qu’on appelle des « mécanismes de
défense ».
Le
groupe comme une membrane aurait une surface externe et l’autre interne. Ce qui
est très compliqué, c’est la mise en commun des actions et des pensées autour
d’une tâche primaire que s’est assignée un groupe.
Il
est fondé d’abord par ses sujets,
mais aussi par ses croyances, ses images, ses rêveries, ses pensées,
ses mythes fondateurs, ainsi que par
ses parties obscures, inconscientes, imaginaires et fantasmatiques
mises en commun par l’ensemble des sujets d’un groupe.
La
face externe est tournée vers la réalité extérieure, physique et sociale, notamment vers d’autres groupes, semblables,
différents ou antithétiques quant au système de leurs règles et que le groupe
va considérer comme des alliés, des concurrents ou des neutres. Par cette face,
l’enveloppe groupale édifie une barrière protectrice contre l’extérieur.
Dans
un groupe, chacun des membres projette sur ce groupe une partie de sa vie subjective privée, avec ses
fantasmes, ses rêves, ses désirs. Tout cela ne se voit pas de prime abord, mais
ne peut être analysé qu’indirectement, d’après les productions des groupes.
Généralement ce sont des études faites sur des groupes de formations, en
analyse ou groupe de diagnostic.
Kaes
parle d’appareil psychique groupal
comme par analogie de celui du sujet singulier. Il se construit sur celui des
personnes en présence et sur la culture
environnante et les représentations
collectives du groupe que celle-ci fournit.
Ce
qui est important, c’est qu'il y a nécessité pour les membres du groupe,
surtout s’ils veulent assurer entre eux un fonctionnement
démocratique, de substituer au Moi individuel un Moi de groupe conscient,
siège de la pensée. Du coup, un groupe essaye de fonctionner avec ses parties
adaptées, mais il doit contenir et mettre en commun ce qui est désorganisé nécessairement chez chaque
individu. Tout comme un sujet équilibré, il va refouler tous ses
traumatismes anciens, ses parties inconscientes qui lui échappent, ses
cauchemars, etc.
La
dynamique groupale montre qu’il est très difficile de maintenir un équilibre
psychique aussi stable qu’on pourrait le penser.
Le
groupe comme structure ou entité qui fonde
la communauté quelle qu’elle soit aura les mêmes contraintes psychologiques
à vivre ou à surpasser concernant
les processus psychiques mis en jeux.
Le
sujet constitue les groupes, mais il est aussi constitué de groupes internes
incorporés, investis, intégrés (origines
familiales, école, culture). Il est déjà un ensemble de groupalités
constituées. L’un des processus majeurs d’adaptation est celui du principe de l’identification.
Le
groupe dans l’absolu c’est ce qui nous précède toujours, avec ses mythes, ses
croyances, ses codes. Le principe de l’identification, c’est ce qui va
permettre à tout individu se s’intégrer
dans n’importe quel groupe. C’est prendre un signe chez l’autre, se
l’attribuer, le transformer pour soi pour qu’il puisse devenir un élément de sa
personnalité (son, odeur, image, peau, intonation de la voix, écriture,
empathie de l’autre, mode de pensée.).
Il
est intéressant de voir comment certains groupes se structurent selon les
instances psychiques dominantes.
Quelques éléments de
compréhension à propos des communautés fondées sur des groupes.
Je
fais l’hypothèse que certains groupes qui revêtent les propriétés de communautés sont plus exposés que d’autres à des
fonctionnements de repli, d’autoritarisme envers d’autres groupes,
d’idéalisation de l’idéologie œuvrant pour elle-même, tenant peu compte de la
vie psychique de l’individu, qui échouent au refoulement c’est-à-dire à ce qui
fait lien social.
La
seule préoccupation de ce groupe est l’autoconservation noyée dans des craintes
de danger venant de l’extérieur (elle est là, la confusion majeure) et
entretenue par des idéologies (le
plus souvent incarnées par un chef qui a perçu la fragilité du groupe du fait
de ses besoins psychologiques, inhérents à sa construction) incapable de se
transformer en promesses de vie sociale conjointement avec d’autres groupes.
Incapable de surmonter ses angoisses primitives, le groupe va fabriquer des
mécanismes de défense très puissants, quitte à les entretenir par le leader lui-même assujetti à ses propres
mécanismes primitifs.
Le groupe comme l’individu traverse toutes les
étapes de vie psychoaffective (la phylogenèse). Certains groupes se constituent
contre l’autorité structurante qui
est toujours incarnée en principe par un tiers (hooligans, milices, groupes
extrémistes dangereux, sectes considérées comme telles…) en légitimant une
cause commune, en imposant un autoritarisme consenti inconsciemment par chaque membre
du groupe, se croyant protégé de ses propres angoisses archaïques et
primitives. La liberté de pensée est effacée au profit d’une mère (l’idéologie)
qui pense pour le sujet et lui fait l’économie de tout manque qui amène
détresse, blessure narcissique et dépression. Au détriment des communautés majoritairement pacifiques, vont se fomenter
des groupes extrémistes qui vont exacerber les ingrédients refoulés, justement,
de ces angoisses primitives mises en commun des groupes et qui doivent
justement rester refoulées pour le bien de l’humanité. Le groupe, même
de plus en plus large, devient une entité pathologique par ce phénomène de
retournement en son contraire. Un pays, une nation toute entière peut être
prise dans ce piège d’origine inconscient.
Que
ce soient des groupes naturels (famille, communauté) ou spontanés (regroupés
autour d’une tâche primaire structurée: loisirs, travail, théologie…), chaque
sujet devant faire partie d’un groupe va nécessairement vivre des tensions
internes au risque de son intégrité psychique.
Une production
idéologique qui survient dans un groupe comme dénégation défensive d’un fantasme
originaire (angoisse d’anéantissement, de morcellement, de castration),
constitue une extension au groupe du processus de production mis à jour par la
psychologie individuelle en ce qui concerne les théories sexuelles infantiles.
Groupe
comme lieu de fomentation des images.
Dès
que les êtres humains sont réunis pour travailler, pour se distraire, pour se
défendre, pour voler et pour tuer, pour croire, pour changer le monde, pour
être instruits ou soignés, des sentiments les traversent et les agitent. Des
désirs, des peurs, des angoisses les excitent ou les paralysent, une émotion
commune parfois s’empare d’eux et leur donne une impression d’unité. Parfois
plusieurs émotions s’entrebattent et déchirent le groupe, parfois plusieurs
membres se ferment et se défendent contre l’émotion commune qu’ils ressentent
comme menaçante, alors que d’autres s’y abandonnent avec résignation, avec
joie, avec frénésie; parfois aussi tous se replient devant l’émoi envahissant
et le groupe est morne, apathique, verbeux.
Le
groupe est une mise en commun des images
intérieures et des angoisses des
participants.
Il
existe toujours du transfert dans les groupes. Il se clive la plupart du temps.
Le transfert positif se concentre généralement sur le petit groupe et le
transfert négatif sur le groupe large.
Tout
comme le sujet,
la psychanalyse a
découvert l’investissement narcissique intense qui, en cas de maladie, de
blessures physiques, d’infériorité corporelle ou mentale, de point vulnérable,
se fixe sur la zone malade et la protège jusqu’à l’idolâtrie.
De
même, on parle de blessure narcissique
pour un groupe. Les groupes se sentent narcissiquement menacés lorsqu’on
risque de mettre en évidence chez eux les points faibles qu’ils préfèrent se
dissimuler à eux-mêmes et de ternir leur propre image idéale qu’ils
entretiennent à grands frais.
Ces
deux mécanismes de groupe, investissement
narcissique de certains secteurs de leur fonctionnement et défense contre la blessure narcissique,
fondent une des résistances majeures à la recherche scientifique sur les
groupes.
Rappelons
l’exemple de Kaes qui était pressenti pour une étude des communautés juives
fermées en Europe occidentale.
Elles
sont en voie de disparition: avant qu’il ne soit trop tard, les juifs
aimeraient les étudier pour mieux les connaître et pour mieux les garder en
mémoire. Si elles s’adressent à un psychologue
non juif, il est d’avance suspect non seulement de ne rien pouvoir
comprendre, mais même de contribuer, volontairement ou non, à alimenter la
propagande antisémite par ce qu’il trouvera et dira. Si elles décident de
donner à un juif de la communauté
une formation psychosociologique, afin de lui confier l’enquête, on craint que
ses études ne lui fassent perdre la foi et ne le déracinent du groupe. Si enfin
il existe dans cette communauté un juif,
psychologue de métier ou de vocation, et si on le sollicite, les résultats
auxquels il aboutit sont rejetés avec indignation: « il a été aveuglé, s’écrie-t-on, par son amour propre, ou
par sa méchanceté naturelle, ou par les théories psychologiques à la mode et
qui ne tiennent pas debout. Il a grossi des réalités d’ailleurs bien connues et
auxquelles on devrait se garder d’attribuer la moindre importance ; il
fait le jeu d’une fraction avide de prendre le pouvoir ou de tout
réformer ».
L’apport
de Bion
Je
me suis intéressé également aux travaux de Wilfred Bion pour comprendre les
mouvements psychoaffectifs que peuvent vivre des groupes et par là même les
communautés.
Bion
nous a montré trois aspects fondamentaux du groupe.
Premier énoncé: le comportement d’un
groupe s’effectue à deux niveaux, celui de la tâche commune et celui des
émotions communes.
La
coopération consciente des membres du groupe, nécessaire à la réussite de leurs
entreprises, requiert entre eux une circulation émotionnelle et fantasmatique
inconsciente.
Deuxième
énoncé:
les individus dans un groupe se combinent de façon instantanée et involontaire
pour agir selon des états affectifs au nombre de trois:
1- Dépendance. Dans ce cas, le groupe
demande à être protégé par le leader, dont il dépend pour sa nourriture
intellectuelle ou spirituelle.
Le
groupe ne peut subsister sans conflits que si le meneur accepte le rôle qu’on
lui attribue et les pouvoirs ainsi que les devoirs que cela implique. Le groupe
n’avance pas forcément bien… Il se complait dans l’euphorie et la rêverie et
néglige la dure réalité. Si le leader refuse, le groupe se sent frustré et
abandonné. Un sentiment d’insécurité s’empare des participants.
La
dépendance est une régression à cette situation de la petite enfance, où le
nourrisson est à la charge de ses parents et où l’action sur la réalité est
leur affaire, non la sienne. La dépendance répond à un rêve éternel des
groupes, le rêve d’un chef intelligent, bon et fort qui assume à leur place les
responsabilités. Nous connaissons ainsi l’un des premiers ressorts des
communautés sectaires qui ne privilégieront de manière exclusive que cet
aspect-là.
2- Combat/fuite. Le refus du présupposé
de dépendance par le leader constitue un danger pour le groupe qui croit alors
ne pas pouvoir survivre. En face de ce danger, les participants, en général, se
réunissent soit pour lutter soit pour fuir. En ce sens, l’attitude combat-fuite
est un signe de solidarité du groupe. Le danger commun rapproche les
membres. « On n’a rien fait, c’était futile, on n’y connaît
rien... ».
3- Couplage. Parfois, l’attitude
combat-fuite aboutit à la formation de sous-groupes ou de couples. Celui-ci
peut réformer le groupe entier, mais
celui-ci représente un danger pour lui, car il tend à former un sous-groupe
indépendant.
Certaines
formations syndicales politiques sont souvent traversées par ces trois phénomènes
à la fois et qui engendrent le terreau de la création de nouvelles factions ou
entités et se légitiment sur une blessure narcissique du fait que la tâche
primaire du groupe a pris des destins irrationnels à leurs yeux.
APPORT
PSYCHANALYTIQUE SUR LA RECHERCHE DES PHÉNOMÈNES DE GROUPE.
Les
dernières connaissances des recherches avancées sur les groupes vont nous
intéresser pour comprendre les enjeux psychiques du sujet inséré dans un réseau
de communautés. Le dialogue psychique permanent entre groupe et sujet et par
analogie communauté, nous amène à identifier quelques phénomènes psychiques
naturels qui se produisent chez un sujet ou groupe de sujets selon la place
qu’il occupe et corrélativement les assignations dans lesquelles il est pris largement à son insu.
Le
groupe est une menace primaire pour l’individu.
Le
groupe est une menace primaire pour l’individu, comme une mise en question du
Moi. Soit on vit chaque membre comme étant identique à moi, soit comme n’ayant
pas d’existence individualisée. C’est le risque de ne plus exister pour
soi-même, de perdre tout sens en étant écartelé entre tant de demandes
diverses. Le Moi s’éparpille. La présence d’autrui en quantité à la fois
multiple et restreinte, si aucune unité
n’est donnée d’avance à ce rassemblement, soit par l’adhésion forte de chacun à
un objectif commun, soit par l’attachement à une même personne. Ce phénomène va
faire le berceau de la place du chef et
de l’idéalisation. Les angoisses suscitées sont: l’angoisse de l’unité perdue, l'angoisse de morcellement, voire
d’anéantissement. On abandonne une partie de soi pour faire groupe (cf.
plus haut pour la constitution primitive du groupe).
C’est
ainsi qu'humainement dans le
groupe se constituent certaines
fonctions psychologiques pour apaiser ses angoisses primaires. Le groupe se
fabrique des fonctions importantes.
Le
leadership, le meneur, le chef.
C’est
le représentant des parties de soi que les membres du groupe abandonnent pour
les remplacer par un certain nombre de formations psychiques partageables avec
les autres membres du groupe : une partie de leurs identifications et de
leurs idéaux personnels, de leur propre système de protections et de
régulations interne, la promesse de l’accomplissement de leurs désirs
inconscients, la voie d’accès à cette réalisation et à l’effectuation de la
tâche commune. En s’abandonnant au meneur comme dans un rapport amoureux, les
participants s’identifient entre eux et à ce qu’il représente pour eux, en leur
lieu et place. Ils délèguent au meneur la fonction de représenter leurs idéaux,
leurs idées et leurs idoles, d’incarner les figures parentales tutélaires.
Les
fonctions de l’idéal.
L’idéalisation
protège du manque et de l’incurie, de la dépendance et de la souffrance. Le
groupe se fabrique de l’idéal et doit en garantir la validité et y obliger ses
membres, dans la forme d’un des contrats qui régissent les rapports entre
l’ensemble et ses sujets. C’est le narcissisme des petites différences.
Celui-ci procède de la tendance à se mettre à part des autres, à s’affirmer
soi-même, à combattre chez les autres leurs expressions narcissiques et à
considérer son groupe (ou famille, communauté
ou institution ou nation) comme supérieur
à celui de l’autre.
Les
formations de l’Idéal des autres sont particulièrement haïes et attaquées. Une
des fonctions du groupe, qui peuvent être déléguées à l’un de ses membres ou à
un dispositif idéologique, est de
cultiver ce narcissisme des petites
différences.
Les
fonctions de croyance. L’illusion groupale.
Parmi
les formations auxquelles est attribuée la fonction de soutenir la cohésion et l’identité du groupe, les formations de croyances sont les
plus efficaces. Il s’agit de maintenir l’adhésion en une bonté primaire de
l’objet: il ne décevra pas, on peut attendre de lui providence, protection et régénération du monde. Dépendance et Couplage en sont des
expressions. La fonction de croyance maintient le déni de la défaillance d’un tel objet, elle organise l’attente
messianique, qui ne doit pas être démentie, au risque de la chute du désir dès
lors que l’objet de l’attente se réalise… Cette fonction s’appuie sur l’Idéal.
La croyance se constitue aussi
comme effet du déni de la différence des sexes, entre les générations et entre les groupes. Idéaux, croyances,
narcissisme des petites différences sont appelés à la rescousse pour combler l’espace dépressif qui s’ouvre en chacun.
En ce sens, la croyance est un antidépresseur
groupalement produit. L’illusion permet d’éprouver une continuité entre la
réalité psychique et la réalité externe. Elle contribue à établir la certitude d’être partie constituante d’un
ensemble d’un même objet commun.
Les
fonctions méta défensives.
Le
groupe offre à ses membres des organisations défensives communes sur lesquelles
ils peuvent adosser leurs mécanismes individuels de défense…
L’institutionnalisation du
groupe est un exemple d’une fonction méta
défensive contre la régression vers les angoisses psychotiques ou
archaïques. Les alliances inconscientes (pacte dénégatif, communauté de déni…),
mais aussi certaines composantes du leadership, des idéaux et des croyances
partagées constituent des méta défenses.
Les
fonctions d’enveloppe groupale.
Le groupe doit produire
une barrière et une frontière pour assurer l’équilibre de ses échanges avec l’extérieur
et la cohésion interne de son espace. Le terme d’enveloppe
psychique vient de la métaphore d’une peau qui respire et échange avec
l’extérieur, tout en contenant en cohérence les éléments internes. La métaphore
du corps est souvent utilisée pour imager le groupe: les membres de… le corps
des enseignants… Cette enveloppe psychique, produite par le groupe, est
nécessaire à son identité, capable
de représenter les limites et les passages sélectifs entre le dedans et le
dehors. Elle a une fonction de contenance,
de filtre et de pare-excitation que les dispositifs de groupe doivent mettre en
place pour assurer leur espace propre. « Un groupe est une enveloppe
qui fait tenir ensemble des individus. Tant que cette enveloppe n’est pas
constituée, il peut se trouver agrégat humain, il n’y a pas de groupe.» (Anzieu) L’enveloppe
psychique groupale est ce « réseau qui enserre les pensées, les paroles,
les actions et permet au groupe de se constituer un espace interne… et une
temporalité propre ». (Anzieu).
Les
fonctions de représentation et les systèmes d’interprétation.
Celles-ci
sont étroitement associées aux processus de symbolisation et de pensée. Une de
ces fonctions est de produire des autos-représentations du groupe
lui-même : inscrites dans les contes, les mythes, les idéologies et les
utopies produites par les discours du groupe pour le groupe et pour ses
membres, elles fournissent les cadres interprétatifs de la réalité pour
l’ensemble du groupe.
La
loi du groupe.
La
notion de loi du groupe est polysémique. C’est pourquoi il est utile de
distinguer loi du groupe et loi
de groupe.
Loi
du groupe
s’entend comme loi locale consentie par ses membres ou imposée à eux de manière
implicite ou explicite pour la réalisation de leurs buts imaginaires: par exemple,
un présupposé de base attaque/fuite impose sa loi de fonctionnement à ses
membres. La fonction de leadership est l’incarnation de cette loi du groupe.
Pour l’observateur, il s’agit d’une loi de composition et de fonctionnement du
groupe en tant qu’ensemble doté de réalités psychiques.
Loi de groupe définit l’ensemble des
règles et des interdits organisateurs des liens et des réalisations possibles
pour les membres d’un groupe: cette loi
est reçue de l’extérieur et chaque groupe se l’approprie selon ses
modalités qui les spécifient dans ses rapports avec la loi du groupe. Les lois de la République en sont garantes.
La loi de groupe s’énonce et s’applique
à tous, fondamentalement sous la forme de l’interdit du meurtre de l’animal
totémique, et d’une manière plus générale en prescrivant un renoncement mutuel
à la satisfaction directe de buts pulsionnels, spécialement des désirs
incestueux.
La loi de groupe tient son pouvoir symboligène de sa forme
contractuelle : interdit et renoncement rendent possibles les échanges.
Elle entre généralement en conflit avec la loi
du groupe (revendication communautaire).
Il
arrive aussi que son détournement s’effectue pour instituer à sa place la loi
du groupe, ses buts et ses moyens étant mis au profit de l’arbitraire et du
plaisir d’un seul ou de quelques-uns. Voilà ici un exemple de confusion mentale
dans lequel certaines communautés peuvent tomber en s’efforçant d'affirmer des
différences qui ne sont pas nécessaires à la survie d’un groupe ou de son
idéologie. C’est l’archétype de la confusion entre les deux natures de loi,
redoublé par la confusion entre le champ public et le champ privé.
Les
repères identificatoires et l’appartenance groupale.
Les
liens de groupe s’appuient sur ce que les ethnologues nomment « repère
identificatoire » (cf. Lévy-Strauss). Ces repères matériels et
culturels articulent l’espace
intrapsychique, l’espace culturel
et l’espace social : emblèmes
et signes de reconnaissance (vêtements, parures), outils et techniques, mais
aussi noms, scarifications ou tatouages. Ce sont aussi des signes de
distinction : par ses repères chacun peut se faire reconnaître ainsi que par ceux qui n’y appartiennent pas.
Les repères identificatoires définissent donc des limites de l’appartenance
groupale.
Participent
à la fonction de repères
identificatoires: la langue et
l’usage de la langue, la référence aux énoncés mythiques et idéologiques, aux
légendes et aux utopies qui organisent l’espace cognitif du groupe et fondent les représentations de l’origine c'est-à-dire la cohérence et la
puissance du discours collectif sur la cause des êtres et des choses.
Les repères
identificatoires mobilisent les identifications inconscientes, ils les soutiennent ou
les répriment: par exemple, les identifications sexuelles sont cadrées par des
rites d’initiation qui confèrent les repères identificatoires propres à un
groupe ou à un ensemble plus vaste. On pourrait dire que chaque sujet cherche à
faire coïncider dans les liens de groupe, ses identifications inconscientes
avec les exigences d’emplacement requis par l’appartenance au groupe et par les
repères identificatoires qui en témoignent. Ces repères jouent un rôle
important dans l’inscription généalogique : ils sont au principe de la
transmission de la vie psychique entre
générations.
Les
alliances inconscientes.
Celles-ci
participent aux fonctions méta
défensives du groupe. Le groupe doit offrir à ses membres des organisations
défensives communes sur lesquelles ils adossent leurs mécanismes individuels de
défense, notamment contre les angoisses psychotiques et archaïques réactivées
par la régression dans la situation de groupe. L’institutionnalisation du leadership, l’idéalisation et les idéaux partagés constituent aussi des méta
défenses qui encadrent les formations individuelles de l’inconscient.
Chaque
ensemble s’organise positivement sur des investissements mutuels, sur des
identifications communes, sur une communauté d’idéaux et de croyance, sur des
modalités tolérables de réalisations de désirs. C’est le contrat narcissique.
Chaque
ensemble s’organise aussi négativement
sur une communauté de renoncement et de sacrifices, sur des effacements, sur
des rejets et refoulements, sur un laissé de côté et sur des restes. C’est le pacte dénégatif.
La
transmission de la vie psychique entre
les générations et entre les membres d’un groupe s’effectue à travers ces
alliances inconscientes… Le lien groupal et la formation de sa réalité
psychique propre au groupe s’organisent sur une série d’opérations de refoulement, de déni ou de rejet effectuées en
commun par les sujets de ce lien au bénéfice de chacun. Ces opérations
caractérisent les alliances
inconscientes.
Définition: nous appelons alliance inconsciente une formation
psychique intersubjective construite par les sujets d’un lien pour renforcer en
chacun d’eux certains processus, certaines fonctions, ou certaines structures
issues du refoulement ou du déni, ou du
désaveu, et dont ils tirent un bénéfice tel que le lien qui prend pour leur
vie psychique une valeur décisive. L’ensemble ainsi lié ne tient sa réalité
psychique que des alliances, des
contrats, des pactes inconscients que ses sujets concluent et que leur
place dans l’ensemble les oblige à maintenir. L’idée d’alliance inconsciente
implique celle d’une obligation et d’un assujettissement.
Le
contrat narcissique.
Freud
dit que l’enfant est porteur des rêves et des désirs non réalisés de ses
parents et que le narcissisme primaire
de celui-ci s’étaye sur celui de ses parents. Aulagner va plus loin: pour elle,
tout sujet vient au monde de la société et de la succession des générations
avec la mission d’assurer la continuité
de l’ensemble auquel il appartient. En échange, cet ensemble doit investir
narcissiquement ce nouvel individu. La «notion
de contrat narcissique» correspond à l’attribution à chacun d’une place
déterminée dans le groupe et indiquée par les voix qui ont tenu, avant
l’apparition du nouveau venu, un discours conforme au mythe fondateur du groupe. Ce discours, qui contient les idéaux et les valeurs du groupe et qui
transmet la culture de celui-ci, doit être repris à son compte par chaque
sujet. C’est par ce discours et par cet investissement narcissique qu’il est
relié à l’Ancêtre fondateur.
Ce contrat narcissique contient une violence structurante, contrairement au
pacte narcissique, résultat d’une assignation immuable (le voile, la charria,
etc., l’impossible mariage mixte…): cet emplacement ne supportera pas la moindre transformation, car le
moindre écart provoquerait une ouverture béante dans la continuité narcissique.
Un tel pacte contient et transmet de la
violence destructrice (groupes extrémistes). Ces groupes-là ne tiennent pas
compte de l’évolution du social. Chaque sujet voulant quitter le groupe est
poursuivi à mort.
Le pacte dénégatif est ce qui, dans tout
lien, et pour chaque sujet du lien, est soumis au destin du refoulement ou de
la dénégation, du déni, du désaveu, du rejet ou de l’enkystement dans l’espace
de chaque sujet, et dans le lien qui lie ces sujets. C’est un accord inconscient sur l’inconscient qui est conclu, et
dans certain cas imposé, pour que le lien s’organise et se maintienne dans la
complémentarité (inégale) des intérêts de ses sujets, pour que soit assurée la
continuité des investissements et des bénéfices liés à la subsistance de la
fonction des Idéaux communs, du contrat ou du pacte narcissique.
C’est la polarité
organisatrice du lien et de l’espace intersubjectif.
L’autre polarité
défensive:
il crée dans l’ensemble du non-signifiable, du non transformable des zones de silence, des poches
d’intoxication, des espaces poubelles ou des lignes de fuite qui maintiennent
le sujet dans un lien étranger à son histoire.
La communauté de déni. C’est une notion qui
désigne un déni en commun. Elle rend compte d’une modalité de l’identification
de l’enfant à sa mère lorsque celle-ci ne parvenant pas à se dégager de lui
pour désigner en un autre lieu que l’enfant, un objet de désir (le père);
le déni de l’existence du désir pour le père est à la fois le fait de l’enfant
et celui de la mère. D’une manière générale, dans tout lien, la communauté de
déni porte sur la réalité du désir de l’autre et elle maintient un état de
non-séparation entre les sujets d’un lien. Elle
s’accompagne de ce fait un régime d’identifications narcissiques et projectives
croisées.
Alliances
inconscientes et catastrophes sociales.
Kaes
poursuit son idée. Il formule une hypothèse selon laquelle les alliances inconscientes sont la matière
psychique essentielle du lien et que les
dénis collectifs des catastrophes politiques et sociales, des meurtres
génocidaires, avec leur expression révisionniste et les mensonges collectifs,
en sont les manifestations les plus communes. Srebrenica est un exemple de
déni opéré par le peuple serbe.
L’autre
hypothèse est que le lien et les alliances qui le structurent sont traversés
par des déterminations sociales, politiques et culturelles plus ou moins
pesantes. Il suppose que le dérèglement du cadre méta social a pour conséquence
que les garants métapsychiques de la vie psychique sont défaillants ou
anéantis. Les clubs de supporters sont le méta-cadre social des hooligans
d'autrefois.
Kaes
nous présente deux films contemporains (en annexe) pour repérer l’expression de
ces alliances inconscientes. Aborder le sujet par la fiction est déjà une forme
de prudence de sa part.
ESPACE PUBLIC COMME
ESPACE TRANSITIONNEL DE TRANSFORMATION ET D’INTÉGRATION.
Continuité,
héritage culturel et rupture du cadre chez le migrant.
Pour
finir mon propos, je voulais aborder un dernier concept à propos de l’héritage culturel.
L’héritage culturel peut être envisagé
comme le code individu-social encodeur
et décodeur des représentations et des affects plus ou moins souplement
organisés et mobiles dans une aire culturelle
et pour un sujet singulier. L’héritage culturel ne trouve sa valeur et son
utilité psychosociale, qu’à fournir une
articulation réciproque des formations inconscientes et de formations
sociales : le mythe est l’une de ses articulations privilégiées, tout
comme son ordre propre, le rite.
Un
tel code repose sur une relative congruence entre le Moi des sociétaires et les qualités de l’environnement matériel et
humain. Cette supposée congruence, laissant un espace de libre mouvement à chacun, s’obtient par
la construction commune, mutuellement concédée et personnellement appropriée de
l’espace potentiel.
Concernant
les immigrés, la plupart du
temps on parle pour eux
(quelques témoignages en sont connus) dans un sens où ce qu’évoque en nous leur transitionalité est redressé par
la filière idéologique de nos
groupes d’appartenance…
La
situation du migrant est doublement douloureuse. Il perd ses codes. Lorsqu’ils
se déplacent, les groupes d’attraction, d’affiliation, les transitionnels ne
disposent plus de l’usage d’aucun code. Les groupes receveurs réagissent de
manière défensive face à toute motion susceptible de mettre en péril
l’équilibre de leur propre code. On assistera alors à des mécanismes
d’enkystement, de rejet, ou encore de transformation du transitionnel pour
qu’il devienne recevable (dressage, enculturation).
D’un
autre côté, les membres du groupe de départ (d’extraction) ont tendance à vivre
l’exode de l’un d’entre eux comme une perte de substance ou d’énergie, et
souvent comme une attaque du partant contre son groupe d’origine.
Que
se passe-t-il alors que les attaches, les liens, les investissements dans les
objets, ce qui représente finalement tous les garants externes de l’équilibre
psychique dans une culture donnée, ont été ébranlés ou mis en question, de
telle sorte que l’individu est
maintenant livré à ses propres motions pulsionnelles, sans pouvoir utiliser le
code de son groupe perdu (d’où les investissements affectifs de deuil), ni être
en mesure de les investir correctement dans le groupe de réception ? Nous
pensons que l’exilé subit le même sort.
Il
s’ensuit, à ce moment-là, une alternance entre deux sortes d’angoisses :
-
les
unes sont liées au sentiment d’être
persécuté du côté du groupe d’extraction comme du côté du groupe de
réception,
-
les autres, de caractère
dépressif,
sont liées au sentiment que tout ce qui pouvait être bon a été
fantasmatiquement détruit : le fantasme d’être attaqué de tous les côtés,
d’être morcelé, volé, surveillé, épié, sous-tend le fantasme de la perte des
bons objets et d’être sans recours…
Les
enfants des migrants sont amplement endettés psychiquement de cette souffrance
collective (des aïeux) qui dans un nouveau contrat narcissique de substitution,
en quête d’idéologie surmoïque, se sont fourvoyés dans des groupes extrémistes
comme nouvelle enveloppe psychique (Loi du groupe) s’imaginant que celle-ci
sera durable et immuable.
Le
pacte dénégatif nouveau en retournement
serait que, au lieu d’exprimer le désaveu
des enfants (préférer la terre d’asile et se déculturer) à l’égard des
parents qui étaient dans l’illusion de
repartir au pays, certains jeunes en crise
de cadre culturel vont se fabriquer le leur en réinvestissant
outrancièrement des valeurs de codes désagrégées de leurs sens profonds
mythiques (signifiants religieux pur et dur, groupe ou bande de délinquants en réaction d’un passif silencieux de
soumission). Les jeunes agissent, en retournant (?) (processus adolescent) les
zones d’ombres des parents tout en maintenant cette alliance inconsciente de
conserver la continuité de la culture.
La
capacité d’inventer un projet commun dans un groupe intermédiaire entre les
groupes d’extraction et les groupes de réception est une acquisition fondamentale, et un tel projet est un phénomène
transitionnel : il se situe dans l’espace public (chacun a la possibilité
de faire abstraction de son groupe) où existe la confiance.
Les
échecs de ces espaces transitionnels entre les groupes font que ceux-ci sont à
la merci de n’importe quel repreneur déguisé en bienfaiteur charismatique
(l’aspect religieux est celui qui marche le mieux avant le politique) pour
maintenir l’illusion du danger extérieur potentialisé par n’importe quelle
idéologie.
Communauté
en accord avec le progrès.
Comme
dans tous les groupes, chaque communauté possède en son sein des processus de pensées et de symbolisation qui soutiennent les rites
initiatiques religieux en ayant des zones d’accommodation
qui lui permettent de s’adapter lorsque cette communauté se trouve dans un
territoire hors de son berceau. Elle procède par aménagements, pourvu que les
éléments symboliques restent préservés.
En
contrepartie, le législateur garant de l’espace laïc propose des aménagements
d’espaces et de droit pour laisser vivre les repères fondamentaux de chaque
communauté. Cette dernière accepte le modernisme sans perdre de vue ses rites
symboligènes. Nous prenons pour exemple la fête de El Aïd-el-kébir (le rituel
du sacrifice) qui ne s’opère plus de manière anarchique (qui ne serait pas
qualifié comme tel dans les pays musulmans). Les services sanitaires mettent à
disposition des vétérinaires pour contrôler la viande ainsi que les abattoirs
le jour lunaire même de la tradition qui se pratique dans le monde entier. Cet
espace transitionnel préserve à la fois un rituel sacré tout en respectant les
règles sanitaires. Le politique a un grand pouvoir et beaucoup de
responsabilités dans la création de ces zones intermédiaires.
À
l’inverse, certaines communautés qui insistent lourdement sur ses signes
différenciateurs, signent de fait cette fragilité à créer du symbole. Plus ses
signes ostentatoires sont imposés et radicalisés, plus ceux-ci se confondent
avec l’idéologie qui est sous-tendue et prennent la place du fétiche, comme chez le pervers. Les signes
confondus avec l’idéologie ne finissent par exister que pour eux-mêmes et
annulent justement toute forme de différence, dans le déni et
l’omnipotence ; l’autre n’existe pas.
Tout
récemment dans l’actualité, deux équipes de football ne souhaitaient pas jouer
l’une contre l’autre dans un cadre amical de corporations. L’une qui avait des
joueurs issus d’une communauté musulmane, l’autre s’affichant clairement comme
groupe communautaire homosexuel. La polémique est devenue politique, car ce
sont les dirigeants qui en ont décidé ainsi. Est-il besoin d’afficher tant
d’indicateurs identitaires différenciateurs pour jouer au football? La
confusion entre le dedans et le dehors, entre l’espace transitionnel qui est en
l’occurrence ici le sport et l’appartenance groupale, met en danger chaque
individu qui cherche justement à s’enraciner dans quelque chose.
Nous
en revenons à l’importance de ceux qui catalysent le groupe. La menace
identitaire ne vaut que pour le leader posé en un idéal du moi. Nous pouvons
aisément percevoir les effets dévastateurs de telles confusions sur des
méta-cadres sociaux à un niveau national.
La
modernité crée des moyens de communication sans précédent. La communauté
physiquement identifiable n’est plus obligée d’exister en tant que telle dans
un lieu déterminé. Elle est confrontée à de nombreuses civilisations dans le
monde.
De
ce fait, chaque Etat se doit de créer et de repenser en permanence ses zones de
transitionnalité (la modernité change les liens sociaux en permanence), afin de maintenir des métas-cadres sociaux qui accompagnent les groupes pour aider
chaque citoyen à être mieux articulé à ses groupes d’appartenances. Le
singulier tout seul ne peut pas vivre sans groupe. Il est constitué de groupes
internes dans une polysémie identificatoire. À l’image du sujet, la communauté
se construit dans une phylogenèse, et la transmission des héritages procède du
générationnel. Il existe deux axes comme dans une famille: la filiation et
l’affiliation. La communauté existe non pas par son idéologie, mais par ses
mythes fondateurs entretenus à travers la narration de ses ancêtres, eux-mêmes
nantis d’une transmission antérieure.
Les
groupes de personnes qui se désolidarisent, enclins à créer leur communauté singulière sans
pouvoir en rejoindre d’autres, sont peu protégés de leurs angoisses archaïques; la mentalisation d’un nouveau mythe fondateur
ne prendra place que dans d’autres générations. En attendant, certains leaders
désignés tomberont dans cette fascination narcissique de leader charismatique faisant l’économie d’un ancrage généalogique
(fantasme de l’auto-engendrement) et l’idéologie prendra place comme une
urgence à sauver le groupe. De ce fait, la violence précède toujours la
pensée.
Idéologie
et position mythopoétique.
Ce
qui fait obstacle majeur pour et contre la communauté dite traditionnelle,
c’est la tendance à la rigidification de l’idéologie qui fonctionnerait pour
elle-même et prendrait la position du fétiche comme chez le pervers (déjà cité
plus haut). Nous verrons que celle-ci s’assouplit au profit de représentations
pacifiées, car n’ayant aucune prise sur les enjeux de pouvoir.
L’idéologie est un système de
représentation fonctionnant comme un processus
psychique et comme un processus
social (croyance, mythe, idéologie, théorie scientifique…).
Toute
idéologie est objectivation et se donne pour objectivité. Elle ne tolère pas l’écart entre le désir et l’objet, entre le
dedans et le dehors, entre le Soi et l’environnement. Elle s’organise
comme reflet et répétition du même au même, assurant dans la clôture du
discours, la clôture des échanges intersubjectifs et la clôture des formes
sociales dans lesquelles ces échanges pourraient avoir lieu, s’ils ne mettaient
pas en péril le Moi en sa division saturée. L’idéologie (position idéologique)
est une fonction d’assignation univoque.
C’est aussi l’espace identique au fétiche imposant la mise en place de l’objet
du sujet : le temps de l’idéologie empiète sur l’avènement de l’histoire.
La
position mythopoétique admet l’ouvert, la transformation et les
remaniements dans les assignations. Elle accepte la polysémie, réduite dans la position idéologique : ainsi, le
mythe encode différents ordres de réalité. Il engendre l’interprétation
comme perte, retrouvaille et création de sens. Le Mythos est la parole qui surgit comme création parce qu’elle est dans la tradition du déjà-dit, qui
n’est pas répétition mais référence :
une continuité qui ne s’impose pas comme limite à la Poésie…
Les groupes
s’établissent sur l’un ou l’autre. La plupart se constituent dans l’alternance. Ainsi, l’activité de
mentalisation et l’organisation sociale dans un groupe oscillent entre une position idéologique chaque fois que le
trône et l’autel sont menacés, et une position mythopoétique où s’élabore la créativité de ses membres.
La
position idéologique peut remplir une double fonction : une fonction identificatoire et de
reconstruction d’une identité commune et une fonction cognitive de représentation cohérente de la raison des
choses. Lorsque ces deux fonctions ont pu être remplies, que quelque chose de productif et de bon a pu être
expérimenté, la position idéologique
s’assouplit. Il est alors possible d’élaborer et proposer des schèmes de
conduite ou de représentations beaucoup plus souples et beaucoup plus adaptés à
l’événement lui-même.
La
position mythopoétique se comprend au travers du sens des mots « poétique », c'est-à-dire
générateur d’imprévu, et « mythique »,
parce que les mentalisations s’appuient sur les grands systèmes de référence du
discours originaire, parce que les choses ont déjà été dites et se retrouvent
en communication avec l’avant et l’après. Ce qui se produit alors est une création originale, entre sujet et projet.
L’idéologie
fabriquée par l’idéologue s’organise selon un modèle de fétichisation, de mise en œuvre de défense contre l’angoisse de
castration, de la perte et de la séparation. Il conserve la croyance envers et contre tous les démentis
infligés par la réalité. Le fantasme du
tout égalitaire, l’affirmation narcissique normative ont pour corollaire la
négation de l’autre. L’égalité ne peut se soutenir dans le discours idéologique
et dans les relations de groupe que sur la base d’une inégalité de fait dont le profit sert toujours les idéologues
et conforte leur pouvoir. La différence doit être réintroduite, mais ailleurs
pour l’exorciser. Elle peut être construite comme une perversion dans le rapport au savoir. Le savoir que construit
l’idéologie (au profit de l’idéologue) est un savoir qui se donne à croire
comme une vérité absolue.
L’idéologue
sait envers et contre tout démenti, et au risque de s’y perdre, si l’objet qui
fonde son savoir venait à faire défaut; telle est l’attitude du pervers (et du paranoïaque) qui
ne peut prendre la position de celui qui ne sait pas. L’enjeu du savoir n’est
pas ici la connaissance, mais la puissance
sur l’objet : le non-savoir définit le champ illimité où peut
s’exercer la limite arbitraire et narcissique que trace l’idéologue, et qui
pour illusionner, doit chercher son public de crédules et naïfs. C’est le champ
de l’autre qu’il convient de désillusionner (de pervertir). En cela, l’idéologie crée et maintient le champ de
l’illusion dans l’existence sociale : elle lui est coextensive.
Certaines
idéologies ont une position paranoïde lorsqu'un ensemble d’individus liés
entre eux par un lien social nécessaire et vital se trouve aux prises avec une
menace, qu’elle soit interne ou externe,
réelle ou fantasmée. Les idéologies
sont ordonnées à la survie des individus et du groupe auquel ils s’identifient.
L’affirmation narcissique et vitale de soi est toujours corrélative d’une
négation de l’autre (sadique) et de soi (masochisme). Dans leur allégeance au
Moi idéal, les idéologies sont des idéologies
de guerre, quand bien même elles feraient de la paix leur objectif
manifeste.
Dans
le système idéologique, la surdétermination de l’objet de la croyance est
finalement réduite à l’unique, à l’autre persécuteur lui aussi réduit à
l’unicité : le mal, le diable, le Juif, l’impur. Le stéréotype et la
réduction manichéenne sont les processus même de ces idéologies, la cause et
non les causes. Pour finir, l’illusion groupale est le versant narcissique
de l’idéologie.
Voici
quelques éléments théoriques qui nous éclairent sur les processus groupaux et
par extension sur les présupposées communautés pas nécessairement religieuses
ou ethniques, dans lesquelles le politique aura de grandes responsabilités (loi
de groupe incarnant le tiers) en tant que méta-cadre garantissant des espaces
transitionnels psychiques intermédiaires souples et mobiles où chaque groupe
(communauté) aura sa part de renoncement, tout comme le sujet singulier aura à
contenir ses angoisses d’anéantissement au profit du multiculturalisme et du
lien social.
Communauté,
communautarisme.
Tout
le monde s’accorde à penser que dans le discours politique français
contemporain, le terme de communautarisme
est saturé de connotations péjoratives, et qu’il ne peut être autrement employé
que dans un contexte critique (cf. Communauté et communautarisme aspects
comparatifs). C’est un terme qui stigmatise la tendance des groupes à se
replier sur eux-mêmes, la subordination
de l’individu à la loi communautaire, le risque de conflits
intercommunautaires, l’intervention dans le champ politique pour défendre ses intérêts exclusifs.
L’exploitation
par les idéologues sans scrupules
est à condamner, car de fait elle opère une perversion sur les groupes identifiés avec une assise historique
pacifique.
Le
communautarisme, si on ose l’employer, doit rester dans la sphère privée.
Taguef
parle de « communautarisme absolu » qui constitue un racisme à
contre-courant conduisant à des actions politiques violentes, et du
« communautarisme relatif et tempéré » : regroupement
d’individus avec des critères tolérables et recevables pour les pays
démocratiques.
Le
communautarisme inquiète pour trois raisons majeures.
-
Il
met en jeu des formes spécifiques de détermination
identitaire (race, ethnie, religion) liées à des contextes historiques
encore très sensibles: esclavagisme, colonisation, exploitations, persécutions,
etc.
-
il
s’accompagne, dans ses phases
revendicatives, de modes de mobilisation très éloignés de ceux
traditionnellement utilisés dans les démocraties modernes. Il se situe souvent
hors des partis politiques et des institutions de représentations et de
médiation (Fatwa Rushdie).
-
enfin,
il préfigure un retour à la société
qualifiée d’archaïque où l’individu moderne perdrait son autonomie au
profit d’un alignement identitaire imposé par son appartenance.
Taguieff distingue multicommunautarisme et multiculturalisme.
Le
premier concept se fonde exclusivement sur le principe du respect
inconditionnel du droit à la différence des groupes minoritaires, du droit de
promouvoir leur intérêt particulier.
Le multiculturalisme est, lui, parfaitement
compatible avec l’idée d’une société
civile forte et unifiée, même si une redéfinition et une réactualisation de
ses bases dans une optique pluraliste s’imposent. Nous sommes plutôt dans un
réseau de communautés qui dématérialise l’aspect physique du territoire.
Évolution
du concept de communauté. Quelques éléments anthropologiques.
La
définition du concept de communauté
est floue et changeante. C’est un outil des sciences sociales utilisé dans un
langage d’expert. Il est utilisé par des groupes se réclamant d’une
appartenance communautaire. Il est enfin employé par la presse.
Communauté
comme une description empirique ou communauté comme idéal et prescription
normative: les ethnologues sont perdus.
Il
y a l’usage d’un concept en fonction d’un contexte social et intellectuel.
Il
y a l’usage politique et idéologique. Si en Angleterre c’est un usage courant,
ce terme en France engendre une grande méfiance.
Les
ethnologues ont d’abord essayé de trouver les aspects objectifs de la vie
communautaire de manière holiste (globale). Puis est venue une vision « subjective» de la communauté.
Ils font une analogie entre «réseau» et « communauté ».
Qu’est-ce qui lient ces individus si on parle de réseau ?
La
communauté pour eux n’est plus une entité sociale. L’industrialisation et
l’urbanisation n’ont pas achevé les communautés. Peut-on parler de communautés
urbaines ?
L’école
de Chicago a produit de nombreuses études sur les sociétés rurales et urbaines.
D’autres
auteurs ont postulé des liens entre communauté, classe sociale et réseau. Ils
ont considéré que la classe ouvrière était organisée en communautés alors que
la classe moyenne l’était en réseaux qui regroupaient des individus.
Les
relations sociales des familles sont construites sous la forme de réseaux et
non de groupes organisés.
Bott dit les choses suivantes:
Pour
elle, la référence « famille »
dans la communauté n’est pas pertinente : la famille urbaine,
même si elle entretient de très nombreux liens sociaux, n’est pas intégrée dans
une communauté qui serait un groupe organisé. La communauté n’est pas un groupe
constitué, extérieur à la famille urbaine qui s’y insérerait, mais un réseau
dense, qui imbrique et qui s’inscrit dans un espace restreint, local, et qui
entretient des relations limitées avec l’extérieur. Ce sont des relations sociales
actualisées.
Autre
étude de Frankenberg :
Frankenberg
va étudier les interactions dans le village gallois de Pentrediwaith, société
rurale dont la base économique s’est effondrée, ce qui implique l’arrivée
d’étrangers. Il va étudier les conflits de divergence, d’intérêt de classe, de
religion, de genre et de parenté.
Pentrediwaith
est considérée par ses membres comme une communauté. Frankenberg va prendre
trois indicateurs : le club de football, celui des supporters du club et
celui de l’organisation de la fête du village. Cette description de relations
conflictuelles fait apparaître une figure vitale: celle de l’étranger.
Frankenberg
montre comment on l'utilise dans des rôles officiels au sein des organisations
villageoises, la transformant ainsi en bouc émissaire si les conflits
deviennent trop explicites et violents, en épargnant les membres du groupe
initial.
Cette
gestion des conflits permet à la communauté de donner l’impression d’une unité
face à une menace extérieure.
En
résumé, pour Frankenberg, Pentrediwaith serait une communauté parce que ses
habitants se considèrent comme appartenant à une communauté, ce qui les conduit
à adopter une stratégie : tout d’abord de désignation, puis
d’instrumentalisation des étrangers. Cette tactique, consciente, permet de
préserver le groupe lors de conflits, et d’assurer sa cohésion face à
l’extérieur.
La
communauté n’est pas réservée au milieu rural. Il tente de donner une
définition « opérationnelle » de la communauté. Il propose la
suivante: « un lieu de vie sociale marqué par un certain degré de
cohérence sociale… Il est question de coopération et de divergence dans les
limites d’un système établi de relations et de cultures ». Il tient compte
du contexte socio-économique.
Plus
récemment, on parle de communauté
imaginée. C'est-à-dire que la « communauté » est appréhendée à
travers les expériences et les perceptions des acteurs eux-mêmes. L’approche
devient plus « subjective ». Le recours au réseau social permet
d’explorer les relations entre communautés, identité sociale et personnelle.
Plus
récemment, on a vu émerger le concept de « communautés
personnelles de réseau » (Pahl, 2006). Ce concept permet de prendre en compte d’autres individus que les
membres de la parenté et les voisins, et la mobilité ou dispersions
géographiques (la notion de localité n’est plus pertinente). L’idée
de la diaspora, de la triade… en sont des exemples.
Une
autre dimension des premiers travaux va émerger avec force: l’ethnicité (Werbner 2002). Les travaux qui sont conduits
dans ce domaine ont non seulement étudié les communautés immigrées, mais
également la manière dont les politiques construisent ces communautés et les
instrumentalisent.
Notion de citoyen.
J’ai
relevé enfin quelques définitions intuitives qui lutteraient contre les méfaits
des idéologies figées, qui maintiennent certains groupes au stade archaïque de
leur évolution.
L’espace
public est « l’institution des intervalles qui relient sans intégrer».
La
modernité ne signifie pas la disparition
de la communauté, mais la possibilité de nouvelles communautés, partielles,
puisque ne régissant que certains aspects de la vie. À côté des communautés
traditionnelles dont subsistent de nombreuses manifestions, les communautés
modernes (à ne pas confondre avec la tendance actuelle contre-pouvoir
communautariste) prennent la forme d’un lien
social reliant des individus indépendants et séparés qui ne s’opposent pas
à la liberté individuelle, mais au contraire peuvent la compléter par une
liberté communautaire.
La
modernité n’est pas la disparition graduelle des relations communautaires ou de
la persistance de formes communautaires régressives. Elle se définit plutôt par
la relativisation des formations sociales de type communautaire qui va de pair
avec une affirmation des relations sociétaires et une pluralité des communautés
vécues… Ce dont nous avons besoin, c’est d’une conception de l’individu qui ne
le présente pas comme une monade, comme un moi sans entraves existant
antérieurement à la société et indépendamment d’elle, mais comme constitué par
un ensemble de positions de sujet, inscrit dans une multiplicité de relations
sociales, membre de nombreuses communautés, et participant de toute une
pluralité d’identifications collectives .
ZAHID Mohamed.
Membre du Cercle Condorcet de Bourg.
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
COMMUNAUTÉ (S.) ,COMMUNAUTARISME (S) : Aspects
comparatifs. Sous la direction de Lucienne GERMAIN et Didier LASSALE.
COMMUNAUTARISME : La république divisible ? Agnès
Rabagny-Lagoa.
LE GROUPE ET L’INCONSCIENT : L’imaginaire groupal.
Didier ANZIEU.
LA DYNAMIQUE DES GROUPES RESTREINTS : Didier ANZIEU,
Jean-Yves MARTIN.
CRISE RUPTURE ET DÉPASSEMENT : René KAES.
TOTEM ET TABOU : Sigmund FREUD.
LES THÉORIES PSYCHANALYTIQUES DU GROUPE : que sais-je
René KAES.
TEXTES
·
Les alliances inconscientes : René KAES
·
Processus et fonctions de l’idéologie dans les
groupes : René KAES
·
La communauté n’est pas le communautarisme :
Dossier esprit critique. Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn. Aspect
anthropologique
·
Communauté et société : Dossier esprit
critique. Ivan Sainsaulieu et Monika Salzbrunn. Aspect anthropologique
Modernité du concept communauté.
·
Les enjeux d’une approche anthropologique de la
citoyenneté. Catherine Neveu. La citoyenneté une identité parmi d’autres.
Laboratoire d’anthropologie des Institutions et des organisations sociales. (
LAIOS)
·
Le concept de communauté et sa relation avec le
communautarisme. Julien Landfried, directeur de l’observatoire du
communautarisme
FILMS
Good Bye Lenin
Depuis qu’Otar est parti.
ANNEXE
Voici la présentation de deux films pour
illustrer la notion difficile à saisir de ce que Kaes définit comme dénis collectifs
à travers les alliances inconscientes( p. 23).
Depuis
qu’Otar est parti. De Julie Bertucelli.
Le film raconte l’histoire suivante : Eka vit à Tbilissi avec sa
fille Marina et sa petite fille Ada. Son fils Otar, qu’elle aime tendrement,
est parti chercher meilleure fortune à Paris, d’où il envoie régulièrement de
belles lettres à sa mère, célébrant la vie de la capitale, et dans lesquelles
il glisse un peu d’argent. Il lui téléphone assez souvent, ce qui a pour effet
de rendre jalouse sa sœur Marina, qui déteste sa mère et qui est cependant
chargée de veiller sur elle.
Marina est aussi en grande difficulté de compréhension avec sa fille,
qui n’a de tendresse que pour sa grand-mère. Trois générations de femmes, qui
vivent l’après Gorbachev avec des sentiments assez divergents dans un
appartement étroit.
Otar s’est fait embaucher comme manœuvre
dans le bâtiment: il meurt en tombant d’un échafaudage. Sa mort est cachée à sa
mère : Marina et Ada, chacune pour des raisons différentes, rédigent de
fausses lettres signées d’Otar, à qui elles font jouer le jeu trouble de
leurrer sa mère sur sa condition. Ada lit à Eka les lettres qu’elle a elle-même
rédigées et continue à lui verser un peu d’argent, comme Otar le faisait.
Un jour Eka décide de rassembler ses économies et de vendre des objets
familiers pour se rendre à Paris avec sa fille et sa petite fille : elle
veut revoir son fils. Mais rencontrer Otar s’avère évidemment impossible, et
Eka finit par comprendre qu’il est mort.
À son tour elle
berne Marina et Ada, supposées ne pas le savoir, elle leur fait croire qu’Otar
s’en est allé faire fortune en Amérique. Au moment de rentrer à Tbilissi, à
l’aéroport, Ada décide de rester à Paris.
Ce film subtil entrelace plusieurs
niveaux de lecture : un tableau sombre de la Géorgie post-soviétique
plongée dans le chaos et les humiliations. Trois générations de femmes
inadaptées, chacune à leur façon, au nouveau régime, qui prolonge l’ancien dans
ce qu’il avait de plus désastreux, la culture du mensonge et du secret. Ce qui
meurt tragiquement dans le fils bien aimé de la mère, c’est l’espoir d’une
relance vitale, illusion maintenue par Eka, reprise par Ada à la fin de
l’histoire.
L’essentiel est de maintenir l’illusion,
toutes les illusions : celle de la grand-mère sur la période stalinienne à
laquelle elle est restée attachée, autant que sur son fils. La mère et sa fille
s’allient pour préserver Eka et ses illusions, bien qu’elles-mêmes les
dénoncent, pour maintenir leurs propres illusions. Marina et sa fille se
retrouvent, non sans conflits, sur ce pacte de déni de réalité.
Good bye Lenin! de Wolfgang Becker. (2003).
Dans
la nuit du 9 au 10 Octobre 1989, le Mur de Berlin tombe, entraînant dans sa
chute un immense espoir de libération pour la plupart, et pour d’autres une
catastrophe de la croyance.
Christiane Kerner est une militante de
Berlin-Est : la veille des événements, elle tombe dans un coma profond à
la suite d’un infarctus au moment où elle se trouve confrontée à une
manifestation pacifique contre le régime réprimée par la police de l’Est.
Huit mois plus tard, elle ouvre les yeux
sur un monde bouleversé, dans lequel toutes les traces et tous les emblèmes du
régime socialiste ont disparu. Mais Christiane Kerner ne voit rien. Les médecins
ont prévenu son fils Alex qu’elle doit être préservée de toute émotion forte
qui pourrait mettre ses jours en péril. Pour la sauvegarder, Alex va construire
un immense mensonge, mis en scène avec la complicité de plusieurs de ses
voisins, de ses amis, et d’un génial prestidigitateur du faux télévisuel. Tout
ce qui pourra l’être sera recherché, construit, falsifié pour maintenir la
vision de sa mère identique à celle d’avant la catastrophe, depuis les
informations télévisuelles fabriquées donnant le change sur la pérennité du
régime, jusqu’à la reconstruction de bocaux de cornichons façon est-allemande.
Comme dans le roman
d’Orwell « 1984 », Alex réécrit l’histoire, change le sens de la
chute du Mur, et le leurre qu’il met en place est la stricte réplique, tragique
et burlesque, du régime de propagande est-allemand. Avec la complicité de ses
voisins, celles des adolescents qui viennent jouer et chanter la comédie
des « pionniers », la fiction semble triompher dans la stricte
logique du désaveu commun et du déni partagé.
Ce que montre très bien le film de W.
Becker comme celui de J. Bertucelli, c’est l’émergence du pacte dénégatif comme
réponse à la catastrophe que constituent les croyances brisées, la perte des
repères, l’identité menacée, l’intolérable incertitude. Le pacte semble
s’établir pour préserver la génération
précédente (cf plus haut les enfants d’immigrés) de son rapport à la vérité. Ce
qui nous interroge ici, c’est cette fragilité que les jeunes générations
attribuent à leurs parents qui ont participé aux « grandes
illusions » de ce siècle passé.
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